André Bucher: écrivain et paysan
Paysan de montagne dans les pré-alpes sèches du sud de la Drôme, militant bio de la première heure et pionnier d’un art de vivre alternatif, André Bucher est également un écrivain dont le premier roman fait aujourd'hui couler beaucoup d'encre.
Celui dont le livre trône aujourd'hui à la vitrine de tous les libraires de France est indiscutablement photogénique: Une silhouette grande et mince, dégingandée, un profil en lame de couteau sous un crâne dégarni qui trahi la cinquantaine, de longs cheveux longs et grisonnants tombant filasses sur des épaules larges et une barbe broussailleuse de moine anachorète, complètent le tableau de quelqu’un qui n’a jamais eu le souci de plaire à son patron...
Oui, André Bucher est un ancien idéaliste des années 68, encore qu’il refuse toutes les étiquettes et se méfie de ces clichés trop hâtivement collés sur son allure. Ce fils de paysan sans terre (son père était modeste garde barrière en Alsace), né en 1946 à Mulhouse, commence par faire de brillantes études jusqu’à accéder à l’école normale des instituteurs qu’il abandonne pour prendre "la route". Après un séjour difficile dans un régiment disciplinaire en Allemagne pour avoir été réfractaire au service militaire, André Bucher voyage beaucoup dans la plus pure tradition beatnik et devient, à la fin des années soixante, successivement cadre en entreprise, bûcheron, ouvrier agricole, routier, pécheur en Espagne jusqu'à fonder, en 1972 dans la région d’Apt, avec Marie Claude la compagne de sa vie et trois autres familles, une communauté agricole basée sur l’élevage et la culture biologique. Le groupe se prend alors à rêver d'un mode de vie de pionnier et d'une culture radicalement alternative.
C'est au hameau de Grignon, sur les hauteurs de Montfroc aux confins de la Drôme et des Alpes de Hautes Provence, à 1080 mètres d’altitude dans une bergerie abandonnée, qu'une quinzaine de personnes (dont 6 enfants) s'installe en 1974. "L'endroit était à la fois merveilleux et terrifiant…" se souvient André. Merveilleux, le site l’est en effet toujours, accroché aux pentes abruptes de la vallée du Jabron qui serpente en gorges à cet endroit et fait face à l’imposante montagne de Lure qui culmine à plus de 1800 mètres. La nature de ces premiers contreforts alpins y est ici superbe, grandiose et sauvage. Terrifiante aussi, car sur les 200 hectares achetés par le groupe, il n’y en a que 33 de terres exploitables dans des conditions difficiles, le reste étant recouvert de bois, de landes et de friches plus ou moins accessibles jusqu'à 1500 mètres. La bergerie est en ruine, il faut un véhicule tout terrain pour y accéder une partie de l'année et le travail est la seule chose qui ne manquera jamais à André et Marie Claude Bucher pendant 30 ans pour vivre leur rêve et concrétiser l'engagement d'une vie.
Elevage de brebis et de chèvres, fabrique de fromages, production de céréales et de légumes biologiques, mise en place progressive de circuits de distribution parallèles biologiques, dans le même temps André entreprend par conviction un important effort de reboisement sur ses terres favorisant le sylvopastoralisme: En 10 ans 20 000 arbres y seront plantés. Trois enfants virent aussi le jour et furent élevés à la ferme, ils sont aujourd'hui partis, donnant des petits enfants aux fermiers de Grignon…
Mais ce diable d’écolos de la première heure ne s'est pas contenté de jouer les nouveaux "Candides cultivant son jardin", fut-il biologique… Membre du conseil municipal de Montfroc depuis 1975, président de l’association départementale de développement de l’agriculture biologique dans la Drôme pendant 5 ans, membre de l’association des fermiers Drômois, assesseurs auprès du tribunal paritaire des Baux ruraux 6 années durant, initiateur et principal animateur de la fameuse "Foire aux produits Biologiques de Montfroc", André Bucher est également écrivain et poète. Passionné de littérature, lecteur boulimique (sa bibliothèque dans la ferme de Grignon compte quelques 8000 titres !), André Bucher s'est mis à l'écriture voila déjà 15 ans. Une dizaine de manuscrits virent ainsi progressivement le jour, fruit d'un travail obstiné et urgent, travail d'hiver, travail de nuit… Attendant en vain le bon vouloir d'un éditeur…
Jusqu'à ce que le miracle se produise ! Les éditions Sabine Wespieser viennent de publier le premier roman d'André Bucher "Le pays qui vient de loin". Edité à 3000 exemplaires, sortant à peine des presses et déjà épuisé en réimpression, le livre fut immédiatement couvert d'éloges par la critique littéraire parisienne. Annoncé comme "l'un des 4 livres les plus conseillés par les libraires" par la revue "Page" (revue professionnelle des libraires), sélectionné parmi les 28 premiers romans de la rentrée par "le Figaro Littéraire", ayant fait l'objet d'articles, interviews et critiques littéraires élogieuses dans plusieurs quotidiens nationaux, "Le pays qui vient de loin" est sur le point de propulser son auteur dans une nouvelle aventure peu banale.
Le paysan écrivain devient subitement un écrivain paysan dont l'agenda est susceptible d'attiser la jalousie de bien des plumitifs: Le 10 septembre à Valenciennes il participera à une rencontre débat avec Pierre Assouline (rédacteur en chef de la revue "Lire") dans le magasin Virgin Store qui a sélectionné son livre comme l'un des tout premiers romans de la rentrée littéraire. Le 18 septembre, il sera à Paris dans les locaux de France Culture pour une interview et le 25 septembre il recevra à Montfroc Josiane Savigneau, critique littéraire au monde et animatrice aux cotés de Guillaume Durand de l'émission littéraire "Campus" sur l'A2. Le 11 octobre une nouvelle rencontre-débat est prévue au Mans dans le cadre des "24 heures du Livre", tandis qu'un peu partout en France, à Montpellier, Lyon, Avignon et Marseille, d'importantes librairies le sollicitent pour des séances de dédicaces…
Mais André Bucher n'en oublie pas pour autant ses chères montagnes drômoises et les 4 et 5 octobre il sera bien là, dans son village de Montfroc, pour la nouvelle édition de sa "Foire aux Produits biologiques" dont il reste le principal organisateur et dont il sera, à n'en pas douter, cette année la vedette !
Le Pays qui vient de loin s'apparente à une histoire pour grands enfants d'autrefois. Ceux qui voulaient changer la vie et qui, à défaut de la changer toute entière ont pour le moins sérieusement bouleversé la leur. Parce qu'on est d'un pays comme de son enfance et des rêves qui la bercent. Ledit pays vous habite, l'enfance vous le dérobe et ses derniers rêves vous hantent.
Samuel, le vieux, vient de mourir. C'est le moment que son petit-fils, Jérémie, dix-huit ans, a choisi pour quitter sa mère et venir vivre dans ces Préalpes drômoises âpres et grandioses où il a passé les toutes premières et plus belles années de sa vie. Au lieu de son grand-père, il retrouve un père dans la ferme familiale, arrivé pour les funérailles, dont il avait été séparé depuis longtemps…
André Bucher, avec sa langue rocailleuse et sonore, dit les retrouvailles difficiles, mêlées de ressentiment et d'amour, de deux hommes que réunit la dépouille de Samuel, dont ils doivent honorer la mémoire et terminer le travail. Père et fils vont s'apprivoiser mutuellement autour du noble ouvrage du patriarche, la coupe du bois…
L'auteur parvient à faire resurgir, dans ce lieu magique et imprégné de présences païennes, un passé essentiel pour des personnages en quête d'identité : A la fin du récit, Daniel et Jérémie auront reconstruit, autour de la figure centrale du grand-père, leur propre rapport au monde. Ils auront découvert aussi, ensemble, que leurs véritables racines plongent dans leurs enfances et dans l'amour profond qu'ils vouent à la nature sauvage.
Voici un livre bouleversant de sincérité qui traite sans fausse pudeur ni sentimentalisme des relations filiales. Un hymne aux grands espaces, pour des personnages en proie à l'aventure intérieure et qui affrontent leurs démons en un huis clos fascinant. Dans ce premier roman d'André Bucher on pense à Giono bien sûr (dont l'auteur dit que c'est lui qui a donné au citadin alsacien qu'il était l'envie de s'installer en Provence) mais aussi aux grands écrivains amérindiens contemporains Rick Bass ou Jim Harisson que l'auteur admire tant et dont l'écriture rythmée par le Blues, le jazz et le Rock ans Roll anime aussi Le Pays qui vient de loin.
Texte et Photos d'Alain Bosmans
Bibliographie :
Le pays qui vient de loin, Sabine Wespieser, éditeur, 2003
Le Cabaret aux oiseaux, Sabine Wespieser, éditeur, 2004
Pays à vendre, Sabine Wespieser, 2005
Déneiger le ciel, Sabine Wespieser, éditeur, 2007
La Cascade aux miroirs, Denoel, 2009
Je crois avoir compris une chose. On vit empêtré dans un songe. Isolé à l’intérieur d’une bulle. Puis, un jour, une fumée blanche – réelle, irréelle – peu importe, rode autour d’un tas de cailloux. Tantôt il fait froid. Trop. Et rien ne s’épure ni ne transpire. Un autre jour lui succeed, dote d’un peu de chaleur. De ce fait, les pierres s’entrouvrent vers un soupçon de vie. D’elles s’échappe un soufflé de soleil. La chaleur est aux os et au Coeur ce que la rosée dérobe à la nuit. Une substance. Or ce songe se résume à une attente. Parfois elle nous précipite au plus profond mutisme de ces pierres, jusqu’au moment où la chaleur s’insinue, s’épanouit, se dilate, elle s’affermit, si dense qu’on en emerge sans trop de conscience, sinon avec la calme certitude que l’on peut enfin s’en aller, quitter ce tas de caillasses et sa fume blanche sans se retourner et sans se croire coupable.
André Bucher