Anjela Duval
Anjela Duval, à l'état-civil Marie-Angèle Duval, est une poétesse bretonne née le 3 avril 1905 au Vieux-Marché, près de Plouaret (Côtes-d'Armor), décédée le 7 novembre 1981, à Lannion. Elle est la fille unique d'une famille de cultivateurs, et avait repris la ferme. (son père mourut en 1941, sa mère en 1951). Elle était, en effet, leur fille unique, car sa sœur aînée Maia (morte à dix ans, mais restée présente dans certains poèmes) ainsi qu'un frère (Charles) étaient décédés avant sa naissance. Seule, car elle était restée célibataire (à cause de son refus obstiné de suivre dans l'« exil » l'homme qu'elle aurait aimé, un marin qu'elle fréquenta alors (en 1924-1926 dit-on)). C'est une paysanne pauvre et simple qui écrit ses poèmes sur un cahier d'écolière dans sa petite maison du Vieux-Marché à Traoñ an Dour, hameau isolé après sa rude journée de travail aux champs. Elle lisait le breton depuis très jeune, mais ne s'est mis à l'écrire que dans les années 1960. Elle n'a fréquenté l'école, chez les sœurs dans la commune voisine de Trégrom, que de six à douze ans (1917) ; mais, victime d'une maladie des os, elle a ensuite suivi quelques cours par correspondance pour les jeunes filles du milieu rural. Elle maniait donc assez bien le français, alors qu'elle avait appris le catéchisme en breton, comme c'était alors la règle. S'étant mise en quête de quelque revue en langue bretonne, on lui avait indiqué Ar Bed keltiek, de tendance nationaliste breton. Elle s'était fait connaître du public français par l'émission d'André Voisin Les Conteurs, en 1971. Ses œuvres complètes (sous le titre Oberenn glok), ont paru en 2000. Tirées en 1000 exemplaires, et rapidement épuisées, elles ont été rééditées en 2005, à l'occasion du centième anniversaire de sa naissance.
Bibliographie
En traduction :
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La feuille
Des deux côtés du Léguer noir
Les rangs de peupliers minces
Jettent au ciel leurs mâts droits.
De-ci de-là un frêne :
Tulle vert qui tremble dans les souffles.
La surface tranquille de l’eau : miroir clair
Qui renvoie l’image :
Moutons d’un blanc exquis dans le ciel bleu
Et arc-de-triomphe des grands arbres.
Face à face de l’abîme et de l’espace.
Une feuille rousse tombe de l’espace.
Une feuille rousse sort de l’abîme.
À la même vitesse : lentes, de biais
Toutes deux de même taille, même couleur
L’une descend doucement de biais
L’autre monte doucement de biais
À la surface tranquille de l’eau elles se baisent
Il ne reste plus qu’une feuille
Qui s’obstine, paisible, à s’en aller
Au fil de son destin.
Une petite fleur d'ajonc parlait
— Tu étais pressée de me cueillir, hein ?
Et tu t’es piquée le doigt à mes épines !
Un petit peu de rouge a coulé
Sur mon habit doré
Et tu t’es dit : voilà qui est bien !
Et tu m’as enfermée dans ta lettre…
Si tu avais fait un petit trou dans l’enveloppe
J’aurais pu voir pendant le voyage.
Les royaumes celtiques d’outre-mer
Et j’aurais salué
Le chardon d’Écosse
Avec ses bruyères roses
Le trèfle d’Irlande et mes sœurs jaunes
M’auraient répondu à coups de parfum
Que j’aurais emporté là-bas
Chez les Celtes en Exil
Au bout du Monde :
— En toi se mêlent tous les parfums de la Celtie
Ton cœur de miel doux dans l’âpreté des épines.
Promenade de Guernachanay
au jeune artiste Peir Simona
Deux heures. Il pleut à torrents. Ils ne viendront pas.
Ma foi, c’est très bien ainsi !
Le visage de mon pays est trop triste sous la pluie
Chemins crottés. Arbres nus pleurant leur eau
Sur des fossés remplis de ronces et de mauvaises herbes.
Le ciel est gris. Grises les pierres.
Têtes sombres. Fâchées. Affligées.
La pluie cesse. Le bruit d’une voiture.
Les voilà. Nous nous mettons en route. Des artistes en visite en Bretagne… Pierres de Bretagne. Ruines de Bretagne.
Ossements, reliques du passé
Aujourd’hui Guernachanay : le château des Koadmoc’han
Autrefois.
Chemins étroits. Tournants abrupts. L’épine noire fleurit partout
Timide et frileuse.
Fleurs légères… flocons de neige.
Le Vieux-Marché. La vieille maison de Lafayette.
La gare. Une côte raide. Des piliers de pierre.
Rubezenn, tertre nu, panorama ouvert
Sur les monts d’Arrée. Sur le Bré. Hoguéné, la montagne rouge :
Colonne vertébrale du pays
Et des clochers. Des clochers tout autour.
Encore des piliers de pierre. Une allée de chênes et de châtaigniers :
Run-Riou. Mon cœur bat :
Marraine. Mes cousins très vieux. Des vieillards robustes et enjoués :
Des amis de la terre
Cette race-là se perd, « Les derniers hommes libres ».
De vieux meubles. Deux cents ans ?
Plus de… trois ans. Pendant trois années entières
L’artisan avait travaillé dans la maison de mon arrière-grand-père
Il avait tourné des fuseaux, des roues solaires :
Des étoiles dans le chêne et l’if.
Une petite armoire au centre du vaisselier
A servi de tabernacle pendant la Révolution.
Antiquités dignes de respect…
Le calvaire de St-Jean relevé. La fontaine.
Pierres sur pierres. Grosses pierres lourdes.
Une pyramide de pierre, portant un saint
L’enfant Jean, petit, fin, ravissant :
Un ange sans ailes. En étrange opposition
À la pierre grossièrement sculptée qui entoure la fontaine.
Dans un champ une construction de pierre.
De belle taille. Solide. Un dôme de pierres herbues :
Le colombier. Encore des piliers.
Une allée bordée de hêtres.
La moitié d’une allée. Stop !… Une jument qui traverse
Le chemin au galop vers le bois.
Une jeune jument. Puissante. Arrogante.
Sans licol ni entrave : Épona !
Le nom jaillit de trois cœurs…
Un ruisseau transparent coule dans d’énormes auges.
Toujours de la pierre.
Le Grand Manoir ! Inutile de le décrire
Les Bretons le connaissent. On voit sa silhouette dans le livre
D’Histoire de Bretagne.
L’art et le génie. La grandeur et l’équilibre.
La beauté et la durée.
L’âme de la Bretagne !
(Sur le chemin du retour)
Le moulin de Pont-Meur. La chapelle Saint-Gilles.
Et des maisons, des maisons qui envahissent la campagne !
Des maisons en ciment armé : boîtes de dominos
Bonbonnières peintes en bleu ou en rose,
Joujoux. La Bretagne francisée.
Ah, ma Bretagne ! Quels somnifères
T’a fait prendre la France ?
Ton âme est endormie
Ton génie est endormi
Ton art est endormi
Ton inspiration…
Sous la pierre grise.
Il est temps que tu te réveilles ! Mon pays aimé
Il est temps que tu te réveilles !
Nous sommes le dimanche de Pâques
Anjela Duval
(Traduction Paol Keineg)