Au présent

Publié le par la freniere

Je n’ai que ma voix, mes bras, mes pieds, mais ils plantent des fleurs à la place des croix. Je n’ai que ma parole à offrir en partage, mais elle porte le pain. Il faut renaître à chaque pas. Contemporain de tout, j’écris en 1800 mais je vis au présent. Je répare les mots usés par le mensonge, les fleurs de rhétorique abusées par la prose. Si nous sommes de sable, nous sommes aussi de bois, de syllabes, de sang. Si nous sommes de chair, nous sommes aussi de sens. Mes voyelles naissent des orties, mes phrases de la boue. D’autres images viennent de loin, du ventre de ma mère et de mes cris d’enfant. La parole a saignée à la naissance de l’homme.

 

Même les bêtes ne partagent pas toujours. J’ai vu un colibri lutter contre une abeille pour une même fleur. À peine âgé de quelques mots, je répondais présent à l’appel du soleil. Pour se trouver, il faut se perdre dans ce qu’on aime. Je voudrais mettre en mots l’effort de l’homme vers la femme, de la faute au pardon, de la racine vers la cime, du pollen vers le miel. Au contact des hommes, mêmes les fleurs apprennent le mensonge. Le cœur, ce briquet, doit affronter le vent. L’amour est l’antidote mais le mal y survit. Malgré la pluie qui tombe, c’est le désert qui gagne. Les mots sont comme un nouveau membre, un bras alphabétique, une main sémantique, compensant pour notre infirmité. Il m’arrive de croiser l’enfant nu que j’étais. Les mots ne pensent pas. Ils font battre le cœur à la manière d’un sang.

 

Ce n’est pas à la question qu’on pose la question. On interroge les réponses. Lorsque les mots grandissent du néant, c’est comme un champ de blé transformant le désert. Des portes s’ouvrent sur la vie, mais tant d’autres se ferment. Je m’accroche à toutes les voix humaines comme un fruit sur la branche, la voix de mes enfants et celle de ma blonde, les voix qu’on n’entend pas et celles qui m’habitent, la voix de mes amis et celle de mon loup, les voix qui se débattent sous le bâillon de l’ordre. L’espoir sur ma page a trouvé son repaire avec son corollaire de colère. J’écris contre les murs, les portes, les sornettes, les menottes. J’écris contre le sort que l’on fait à l’enfance, les poumons de la ville vomissant du goudron, les oreilles restées sourdes au chant des ouaouarons, au sifflement du vent, aux paroles des conques.

 

Dans les débris du monde, il y en a qui ramassent des planches de salut. Ils en font des maisons, des radeaux, des passerelles vers l’azur. Ils fabriquent un soleil avec du bris de verre. Ils traversent l’abîme avec les jambes du regard. Ils redressent le monde empilé sur lui-même. Ils creusent des nids d’oiseaux dans la forêt technologique. Leurs paroles se répandent en poussière quantique. Ce sont des insoumis dont je porte la voix. Leur vent me pousse à la lumière. À l’heure des écorces qui tombent, il faut croire à la sève et planter d’autres arbres. Il y a toujours un homme sur les photos de groupe que personne ne connaît. C’est pour lui que j’écris. Mot à mot, sur le blanc du papier, je grimpe en descendant. Je me métamorphose à chaque nouvelle ligne. Dans mon bestiaire de poète, le loup blanc s’allie avec le mouton noir. La lumière s’amuse des arguties de l’ombre. Toute beauté reflète une chose brisée. Les mots sont ses éclats que je recolle en vain.

 

La vraie richesse est une affaire de cœur. Le cuisinier lègue ses casseroles, le jardinier sa bêche, la fleur son arôme, le paysan sa vache en guise de veau d’or. Je lègue mes caresses aux chairs privées d’amour, mes hommes qui se lèvent aux chaises fatiguées, mes plus belles semences aux terres oubliées, mes béquilles verbales aux choses mal écrites, mes virgules rebelles à l’alphabet trop sage, les ailes du lilas aux abeilles perdues, mes lunettes aux aveugles qui cherchent le chemin, ma tête en nœuds de bois aux forêts dévastées, le squelette du feu aux hommes en carton, mes grimaces aux visages qu’efface le fond de teint, mes limaces aux choux-fleurs, le pansement du rêve au réel blessé, mes mots lourds de sang à l’anémie du sens, mes erreurs, mes faux pas au monde trop abstrait. Devant les hommes à genoux, je renonce à comprendre mais je reste debout. Ceux que leur propre peau a mis dehors cherchent des mots pour s’habiller.

Publié dans Prose

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