Avec des bouts de ficelle
Les bourreaux d’aujourd’hui ont des habits griffés, des smokings cachant un cœur de pierre. Je ne suis pas de la soie des drapeaux mais des loques protégeant un cœur d’or, des costumes fripés avec un cœur d’enfant, des bras enfarinés dans le pétrin commun, des manches retroussées dans la misère à vaincre. Je ne suis pas jet-set. Je suis du sac à dos, de la brouette, du carnet, des sandales, des pieds nus, des wagons que l’on saute. Je ne suis pas du bois dont on fait les matraques, du fil de barbelé, du fer dont on fait les menottes, de la pâte à papier dont on fait les mensonges. Je suis de la ficelle qui sert aux cerfs-volants, des cordes de guitare, de l’espadrille foulant l’herbe, des planches de radeau, du bois des oliviers, de la résine amère qui soigne les angines, du bois des violons. Je ne suis pas du genre troupeau ni du trousseau de clefs, des croix gammées qu’entérine l’argent. Je ne suis pas des plages où le soleil se paie. Je suis du grain de sable enrayant les machines. Je suis des lacs et des rivières. Je ne suis pas des mines dont on fait des tombeaux mais de la vie à ciel ouvert. Je suis du drapeau blanc qui sert de pansement, du drapeau noir qui saigne, de la colombe en cage qui ronge les barreaux. Je me nourris de faim à la table des riches. Je suis des miettes de pain dont on fait l’espérance. Je ne suis pas des lois dont on fait des barreaux, des dollars dont on meurt, des éoliennes géantes qui remplacent les arbres, des usines à prière qui massacrent les hommes. Je suis de la galoche, de la galère, de la grève. Je ne suis pas de la pierre dont on fait les prisons, de l’habit qui fait le moine, du moine faisant la guerre. J’enlève la peau des mots pour nourrir la lumière. Je suis de l’infini comme on n’est d’un brin d’herbe. Je suis de l’absolu comme on naît de la mer.
Dans les villes en guerre, les ruines servent de mémoire. Ici, la vie s’en va sans laisser de charnier. Dans la parole du soldat, le dernier mot d’amour appartient à la mort. Notre terre si belle, la morgue des banquiers en a fait une morgue. Le monde s’étranglerait sans le sourire des enfants. Sur le corps du profit, il n’y a pas de peau d’amour. L’ossature est à nu. Sous des outils plus lourds que leurs épaules, les hommes rampent pour un salaire. Ils s’inventent un futur à même les débris. En règle avec mon âme sans l’être avec la loi, je prends sur moi l’enfance jetée à la poubelle, la révolte trahie, l’amour battu, la folie des poètes, les oiseaux fusillés, la poussière et la mort. Mon amour n’a plus rien à se mettre que du vent sur la peau. J’écris depuis le dénuement avec une main qui saigne. Je regarde le monde par les trous du poème. Le cœur est une oreille quand ce n’est pas un œil. C’est aussi un poumon, un poème, une maison. Je guette derrière la porte les pas qui me reviennent, les mots qu’on n’a pas dit, les images effacées. Je signe d’une rose le chèque en blanc du temps. L’herbe survit à force de racines et l’homme fait de même. Je m’avance dans l’ombre, là où nait la lumière. Mon sang rouge d’Indien, mon sang bleu de poème, mon sang vert d’espoir, mon sang est noir de monde qui se lève en colère. Mes ongles de cellule écorchent les murailles. Ce ne sont plus les enfants morts qu’il nous faudra bercer, mais les enfants-soldats qui cherchent leur enfance. Tout poème est une main s’agrippant à la vie.