Couple aux oiseaux
La grande chambre blanche en souvenirs d’enfance
Pleine d’oiseaux de couleurs, qui vont, qui volent,
qui chantent en mineur
Autrefois peintre en bâtiment, c’est l’homme à la
casquette, il ne peint plus que des oiseaux
La grive, la tourterelle, ou le faisan jailli des couleurs
de l’automne
Et la belle palombe qui chante jour et nuit,
Il voudrait la sculpter, il ne le fera pas, son temps
est mesuré.
Il bricole un oiseau, aigrette rouge, corps noir, aile
blanche effilée
Il l’accroche à la fenêtre devant le ciel immense
Que la fin de l’hiver ne cesse de moduler.
Pour cet oiseau de grand voyage, il faut un ciel en
abîme profond.
Il prend une toile, ouvre un peu la fenêtre, la grive
demeure sur le seuil,
A-t-elle peur maintenant de la vie sauvage ?
Les autres sont posés, les mâles sur la branche en
parade amoureuse ne quittent pas les murs
C’est l’heure du dîner, il est très en retard,
Sa femme voit ce regard qu’elle aime, éperdu de
lumière et bien près de s’éteindre
Il mange vite, il abandonne à demi son café, remonte
l’escalier tant que le jour éclaire.
Il n’a pas dit un mot, ne la regarde pas. Elle téléphone
à sa fille :
«Il ne me voit plus, il travaille seul, je veux divorcer.»
La fille répond : «À quatre-vingt-deux ans… !»
Le peintre à la casquette prend une grande toile
et la prépare
Le lendemain, la grive et le faisan doré sont partis. Il
a mal choisi le format, le tableau est mal
équilibré.
Reste la place pour peindre une femme qui voit
avec bonheur l’alouette s’élever dans les champs
qui blondissent
La femme, qui n’est plus jeune, vêtue de grâce et
de bonté se réjouit de la voir dans le ciel.
Il a travaillé tout le jour, il descend très tard
Sa femme est en train de boucler ses valises. Elle
va partir, elle veut divorcer.
«Allons voir ce que je viens de peindre. »
Ils vont à l’atelier dans la lumière du Nord
Elle pense : «Un de ses plus beaux tableaux et moi,
comme il me voit sans me le dire.
C’est un homme qui peint, pas un homme qui
parle.»
Henry Bauchau