Dans la chambre des mots
Dans la chambre des mots, un neurone lève la main. Un autre se fait la malle par la porte d’en arrière. Un non-sens le suit. Une image vaut mille mots. Un visage vaut mille rides. Une métaphore s’évertue à prendre la parole. Des voyelles volent pas. Des consonnes sont myopes mais brisent leurs lunettes dès le premier clin d’œil. Des doigts secouent les puces sur un clavier imaginaire. Des idées dorment entre les parenthèses. Des paraphrases font la quête. Des phrases font la queue. Ça placote de partout. Je dois me réveiller et prendre mon crayon. Tout disparaît quand j’ouvre la lumière. Je trouve quelques lettres cachées derrière la lampe, une grammaire éventrée, une souris qui parle une langue inconnue. Je ramasse une à une les virgules oubliées mais ça ne fait pas une phrase. Il me revient des mots, un verbe qui dessine à l’imparfait du temps où les objets directs se conjuguent à l’envers. Que reste-t-il à dire ? Je pose mon crayon sur la brume, sur l’eau, sur la peau douce des pommes, une cicatrice de lune sous les guenilles de la nuit, un pas d’insecte sur le sable, un tison sur la neige. Une phrase m’empêche de regagner la rue, la couleur d’une image, le son d’un saxophone au milieu de la tête, la douleur d’un mot coincé entre les dents.
Le vent se mouche dans l’orage. Le soleil disparaît. La pluie efface les traces mais y laisse les siennes. Le sommeil déjà loin a remballé ses rêves. Je me cherche un passage entre les murs des choses. Le temps se vide comme une idée qui perd son sang sur du papier. Un mot vient se glisser dans le creux d’une oreille. Il a faim. Il a froid. Il voudrait le mot pain mais je n’ai plus de blé. Il voudrait le mot chaud mais je n’ai plus de feu. Je vis encore au jour le jour. Je parle mot à mot. Je marche pas à pas sur une route absente. J’ai pris congé des snobs, des pédants, des bavards qui se font de l’épate avec de l’argent sale. J’en ai eu marre très tôt de cette vie mise en mots enveloppée de plastique et de qu’en dira-t-on. Être un homme c’est dur quand l’hommerie fait tache. On me rappelle sans cesse à ma fonction sociale, à mes dettes, à mes souliers troués. Je les ravaude au fil de la parole et je marche sans but sous les gifles du vent. Je me donne aux lutins, aux gnomes, aux farfadets, aux arbres qui promènent tout un panier de fruits, au vent saoul de pollen, à la trogne du ciel, à l’assaut des montagnes.
Toutes les rives se joignent. Toutes les larmes se mêlent, peu importe les yeux. Toutes les mains se cherchent à travers le brouillard. La terre avec sa robe ouverte accueille le soleil. Les filles d’eau enlacent les garçons de verdure. La main du vent caresse l’épaule de la pierre. Un Bic idiot m’entraîne jusqu’au bord de l’abîme. En équilibre sur la ligne d’horizon, j’ai besoin de mots pour me tenir debout. Je demande à la vie l’intercession des morts. J’écris sur l’eau et sur le vent. J’écris ce qui s’efface. Une forêt m’enseigne la prière. J’y marche en écoutant les bêtes. Je franchis l’invisible par la porte de l’eau, laissant la terre aux larves, aux insectes, aux racines. Ils savent mieux que moi l’énergie du soleil. Un peigne sur le sol étonne les fourmis. La pluie s’immobilise au milieu d’une phrase. On peut la regarder comme on regarde un arbre. Quand je palpe du doigt quelques cailloux savants, les feuilles moins lettrées font l’école buissonnière. Sous le sol encore dur, j’entends le bruit d’une graine qui toque pour sortir. Elle semonce la tige qui ne veut pas fleurir. On donne ce qu’on reçoit. Les piqûres de la route réveillent mes pieds nus. Restera-t-il des mots quand le silence reviendra ?
Les mots s’embrouillent. L’alphabet fait des rots. Les lettres se mélangent comme un puzzle aveugle. On dit des guêtres pour des guêpes, des vertus pour des vers, des raisins pour des fraises. Le cerveau pèse lourd dans sa besace de cheveux. Trop d’idées s’y affrontent. Je dois remettre du foin neuf dans la litière des mots. Le temps vide se remplit des gestes qu’on y met, des images, des mots, des souvenirs d’enfance. Le temps trop plein déborde. Les mots que l’on répète ont les oreilles rouges. Il faut le baume du silence pour les apprivoiser, la tendresse de l’air quand elle boit la rosée. Les montagnes se déplacent avec si peu de bruit qu’elles dérangent à peine le vol des oiseaux. Les mots trop lourds pour les lèvres ont besoin de papier. Même quand ses branches plient, le nombre de ses fruits n’accable pas le pommier. Même quand les oiseaux crient, la présence des œufs ne trouble pas le nid. Ce qui entre par les yeux ressort par les yeux mais un peu différent. Le passage du vent ne change pas le poids des choses ni la couleur des roses. À la question de l’été, une seule fleur suffit pour avoir la réponse, un insecte qui naît, une pomme qui pend, un ruisseau qui gazouille. L’eau sans tête s’entête à dessiner des rides. L’air sans voix s’évertue à imiter le vent. Je n’ai que mes trous de bas à vendre aux enchères, des billes sorties des yeux. Il y a une forêt dans un morceau de bois, une galaxie entière dans le son d’une voix, la course des chevaux dans le son et l’avoine. Il y a toute la vie dans un seul mot d’amour.