De miette en miette

Publié le par la freniere

La vie surprend parfois avec ses jambes de 16 ans au regard de vieillarde, sa longue tignasse rousse sur un crâne de pirate, son cœur de banquier sous un poncho de laine, ses larmes de cigare au fond d’un cendrier, ses bleus de travail qui sentent le bébé. Pour qui donc parler, il n’y a que les morts qui ne soient plus qu’oreille. J’ai du mal à prier un Dieu qui reste sourd. Je demande son feu à celui qui a froid. Je vais de miette en miette comme un oiseau partage le pain sacré des pauvres. Je ne cueille plus les fleurs qu’avec les yeux, laissant le temps en profiter. D’arbre en arbre, de nuage en nuage, le vent se dessine un visage et l’air fait bouger les bronches de l’espace. Je déteste et je désire le monde. Devant l’odeur du pain, je laisse la faim s’exprimer. Il y a tant de choses brisées, si peu d’outils pour réparer, tant de mensonges à contredire, trop peu de souffle pour le faire. Je suis l’homme qui a jeté ses clefs pour fuir la maison. Je suis l’homme des routes qui rêve de se perdre mais reconnaît ses pas dans chaque paysage. Trop de gens donne dans le surplus. J’ai moins qu’il ne m’en faut, mais j’y trouve mon compte. Il me faut bien écrire puisque la vie ne finit pas ses phrases. Entre le délirium et la rage, je cherche la sagesse. J’écoute pousser les fleurs à défaut d’en cueillir.

 

Je me suis levé tôt, ce matin. J’attends toujours mon âme. Je déjeune au soleil. Je porte à mon sourire un petit bout de pain, une bouffée d’air frais à la bouche du cœur. Mon corps devient vivant. Je laisse mes yeux errer sur la splendeur des montagnes. J’écoute les vaches à poil long qui ressemblent à des yacks. Je les suis d’une phrase jusqu’aux os des mammouths. Je suis le premier homme, le cueilleur cherchant encore du feu. Je creuse un puits du bout de mon crayon. Le sang rêve dans les veines qui battent. Une mère me guette par la fente du monde. Je parle dans sa langue. Quand les bourgeons éclatent, la sève sous l’écorce nous livre ses secrets. Le ciel se renverse sur les plis de la nappe. Le vent dessine à mon oreille la parole des arbres. Chaque matin, je me surprends à vivre. Je ne conjugue pas le verbe être avec l’avoir, je le conjugue avec l’amour. Tous les temps sont présents dans une seule caresse. C’est en rêvant de profondeur que l’arbre s’élance vers le ciel. Qu’en est-il du temps qu’on ne respecte plus ? Sauver un seul insecte, c’est aussi sauver l’homme.

Publié dans Prose

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