De miette en miette

Publié le par la freniere

Je vais de miette en miette comme un moineau perdu. Je pose sur la page de l’amour tout frais peint, des couleurs de révolte, des fenêtres d’oiseaux, des fleurs qui butinent, des arbres qui naviguent, des violons, des violettes, la mer comme un lit, la tendresse accrochée au cœur pointu des roses. Le vent des hommes a défolié la terre. Je marche dans la cendre à défaut d’herbe verte. Attaqué par le temps, un arbre a basculé dans la cour d’en arrière. Déjà les bulldozers viennent broyer son échine. Ses racines vers le ciel, son âme de cent ans s’envole dans la neige. J’attends que s’en échappent des cadavres d’oiseaux.

Je n’ai plus à sucer que le noyau des mots. Je n’ai rien dans la tête pour laisser place au rêve. Il y en a déjà trop qui pensent tout savoir. Le sang qui coule dans les rues me condamne à la vie. Mes mots se reconnaissent dans les passants qui courent, dans les vieillards d’en face, dans les enfants qui jouent. Ils s’habillent comme eux mais un point trop petit. J’abandonne ma voix à la peau vide du monde. Je tourne dans mon encre, d’un coup de cœur, d’un coup de rein. Je suis né d’une étoile, d’un oiseau, d’un poisson. Je suis né de la terre, ses plantes, ses parfums, ses lignes sur la pierre. Je suis né des nuages, des images, des mots. Je suis né de la femme, sa fontaine, sa force. Je survis dans la glaise, le calcaire, la soif. Je survis sans salaire mais je ne peux pas vivre sans musique, sans feu.

Les oiseaux dorment dans leurs ailes. Le chant s’éraille dans la voix des corneilles. Les mots se perdent dans le blizzard de l’être et les yeux s’égarouillent sur la toile trop blanche. Le monde mal écru s’effiloche en frissons. Un jour succède à l’autre. Les nuits viennent plus vite avec le frette au corps, le frimas sur les côtes, la glace sur la pétaque, le tournis dans la tête. Le ciel tombe en lavis sur les perrons tout blancs. La neige tombe en lavette sur le bedon des toits. Les hommes tournent en bourriques derrière l’écran du froid, la guédille au nez, des engelures aux os.

Lorsque la phrase est faite, c’est comme un vin laissé au temps. Des grappes de voyelles à la robe du sens, de métaphore en métaphore, le tanin des images donne sa saveur aux mots. Si le vin ne tourne pas au vinaigre, tant mieux pour la curiosité, le plaisir et l’espoir. Si la vie ne tourne pas en rond, tant pis pour les soldats, la finance et la haine. Les phrases sont si belles quand elles ont de la cuisse et du panorama, des muscles dans l’image, du soleil à la bouche. On peut faire du pain d’une brassée de voyelles, une cravate de lumière avec le fil des mots. À la mystique du jardin, à la messe profane, dans la matière en marche vers la vie, chaque fleur tour à tour nous offre son calice. Les phrases portent en elles une mémoire olfactive. La transparence n’arrête pas où commence l’opaque. Il est des ombres plus transparentes que l’eau, des traits d’encre légers comme les ailes d’un ange. Ma blonde est toujours là dans le profond du cœur. En quête de chaleur, je succombe à ses seins, à la caresse de ses mains, à l’exact d’aimer. Nous tenons bouche à bouche la vie par un baiser. Nous tombons en extase du simple bout des doigts et l’infini s’immisce entre les os du corps. La cage rose des doigts laisse échapper nos gestes en un vol de caresses.

Publié dans Prose

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J
<br /> <br /> J'ai essayé de mettre en image la dernière strophe, c'est là : http://www.le-carnet-de-jimidi.com/article-de-miette-en-miette-extrait-jean-marc-lafreniere-70150793.html<br /> <br /> <br /> <br />