En char avec Gaston Miron
Je me remémore souvent les rencontres anciennes quand je suis mal fichu. Quand ma tête après trop de doses d’élévation ou d’alcool retombe comme une chiffe molle sur le sol.
Celle qui occupe mon cerveau, aujourd’hui s’est déroulée le 15 décembre 1984. C’était rue Monsieur le Prince, dans le chic quartier de Paris, le Saint-Germain des Prés.
Je rendais visite à Pierre Béarn, que la mort ne venait pas chercher et qui s’activait à quatre vingt deux ans comme un gosse à rédiger sa revue littéraire « La Passerelle » de sa seule signature.
Le bon diable avait salué mon premier livre dans sa rubrique littéraire.
Je n’ai jamais su comment il se l’était procuré, un ami en commun probablement. Alors pour l’usage et les bonnes manières, j’étais venu le saluer en guise de remerciement.
Je suis passé alors qu’il accueillait l’auteur de « l’homme rapaillé », Gaston Miron, qui voulait aussi me rencontrer.
Entre ce québécois et moi, allez savoir pourquoi, le courant est immédiatement passé.
Nous avons laissé le vieux Monsieur et à bord de son « char », il m’a amené boire et manger dans son appartement rue Vaugirard où il logeait alors.
Il m’a offert son livre (voilà pourquoi je connais la date), ornée d’une jolie dédicace sincère : « A... avec amitié et connivence, ces poèmes de mon identité et de mon entêtement, avec les mots de nos français mêlés et de notre héritage ensemble, dans cette Amérique française ».
C’était le type genre enthousiaste et à mesure que nous mettions les dentelles qui allaient lier l’amitié (avec quelques verres alcoolisés bien entendu), il échafauda le projet de me ramener avec lui dans sa terre natale, en tant que secrétaire rémunéré et ami buveur.
J’ai refusé, la peur du froid probablement.
Je lui ai promis de lui donner régulièrement de mes nouvelles et d’aller le voir là bas quand les finances le permettraient. J’ai tenu ma première parole, pas la seconde. Quand le manque d’argent ne tarauda plus mon échine, en 1996, je projetais de lui envoyer un courrier pour qu’il m’accueille l’année suivante. La gueuse me l’a fauché avant...
Triste sort, triste vie.
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Une phrase Gaston Miron qui me concerne particulièrement : J’écris ces choses avec fatigue comme celui qui disait « être las de ce monde ancien »
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Blanche fut la première nuit en compagnie de Gaston Miron. Nous avons fait un tour dans toutes les poésies en lapant des étoiles comme on gobe des fruits. C’était à sept heures du matin avec son accent guttural et tonitruant qu’il m’invita à nous séparer. Il avait « un fonctionnaire de la culture à aller voir ». Nous avons marché quelques pas dans la rue. Nous nous sommes embrassés sans chichis. Avec son livre sous le bras, je l’ai quitté. Ma tête était légère comme une plume et je me répétais pour moi-même, ces vers qu’il m’avait cité au moins une dizaine de fois dans la nuit : « Vous pouvez me bâillonner, m’enfermer avec votre argent en chien de fusil/avec vos polices et vos lois je vous réponds NON (la batèche de l’homme rapaillé bien sûr.)
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Combien de fois ai-je vu Gaston Miron, physiquement s’entend ? Je ne sais plus. Ce que je sais, il est souvent en moi et je replonge souvent dans son œuvre. La poésie c’est d’être mort chez les vivants et vivant chez les morts. Elle m’est venue comme cela cette phrase dans l’appétit de ses mots.