Hommes et chiens confondus
de toutes les batailles
je n’en choisis aucune
je cherche un présent habitable
je laisse l’horreur du monde
aux bons soins des anthropologues
j’attends seulement
des années sans hiver
où loger mes racoins perdus
- Rose Eliceiry
Les Éditions de l’Écrou récidivent une sixième fois en nous offrant de la bien belle et bonne poésie. On nous transporte cette fois-ci dans l’univers mi-ombre, mi-lumière du premier recueil de Rose Eliceiry. Hommes et chiens confondus est un récit d’errance, étrangement, celui d’une femme coincée dans l’embrasure d’une porte. Elle a en tête une image qui se déplie au fil des pages, qui traverse son corps – pas toujours très tendrement -, et qui finit par former un territoire à la mesure du cosmos : c’est par là qu’elle s’échappe, en quête de toutes sortes d’origines à retracer. Dans ce nouveau pays, elle retrouve entre autres le souvenir du corps de l’Autre, qui lui avait déjà dit qu’il reviendrait, une absence à parcourir et à combler pour lui redonner vie.
l’origine c’est l’enfance
après on a plus de pays
Explorant les souvenirs des années passées et les « peut-être » de celles à venir, de cette profusion d’images se dégage paradoxalement quelque chose de la pauvreté, du vide et de la dépossession de soi-même, la représentation d’un moment charnière où tout est à reconstruire. Rose Eliceiry le fait avec conviction, assumant tous les détails des tableaux qu’elle peint, dirait-on, sans jamais connaître un instant de répit. Son esprit vagabonde, se rebiffe, tourne en rond, revient sur ses pas, avance à la recherche d’un endroit où se poser, où habiter, puisqu’« il faudrait/pouvoir revenir quelque part/préparer le café », finalement, se reposer dans un peu de ce présent qu’on voudrait éternel.
Si, au départ, le lecteur a lui aussi l’impression d’errer, ce sentiment s’estompe bien vite au profit d’une curiosité qui se renouvelle d’une page à l’autre. Les jeux entre le réel et le surréel sont rarement totalement hermétiques et la poète ne nous abandonne jamais en cours de route. La récurrence de certaines images et l’écho de phrases reformulées et redéfinies créent d’importantes passerelles de sens. Comme un chien ronge son os, avec une pointe de rage, un soupçon de hargne et beaucoup d’amour, Rose Eliceiry a désossé ses images jusqu’à la moelle. On la lit comme on respire.
Rachel Gamache