Ils ont dit

Publié le par la freniere

Les raisonnements donnent souvent quelque importance à des questions qui n'en paraissent souvent pas susceptibles : c'est ce que j'observe au sujet d'un article inséré́ dans votre Journal, sur le sens du mot Banquier.

Je ne m'arrête pas à discuter la rigide acception du mot ; j'examinerai plutôt les causes qui ont mis si promptement en crédit, un titre jadis si peu remarqué.

 

Tout favori de la fortune ambitionne quelque distinction. Il ne reste guère aujourd'hui que celles de Général, ou de membre des Autorités supérieures, et elles sont restreintes à un bien petit nombre d'individus. Les fonctions de moyen ordre, qui étaient anciennement considérées, telles que celles de Juge, d'Administrateur, sont entre les mains d'hommes plus estimables que riches, qui ne peuvent pas éblouir le peuple par le faste des anciens dignitaires ; et la versatilité́ qui a régné longtemps dans la délégation des emplois, a singulièrement affaibli encore le lustre dont brillaient les Fonctionnaires publics, aux yeux de la multitude.

 

Dans cet état de choses, quelle est l'idole qui s'offre à l'engouement du vulgaire ? C'est l'homme à argent. Appelez-le, comme il vous plaira, Banquier, Armateur, Négociant, etc. vous n'empêcherez pas l'homme riche de se décorer du titre le plus en vogue, lorsqu'il n'est pas légal, et que chacun peut se l'attribuer ; et puisque les Mondor qui traitent avec le Gouvernement, sont Banquiers ou soi-disant tels, tout possesseur d'un portefeuille veut être Banquier, et le sera en dépit de toutes les définitions. S'il est vrai qu'on peut (en style de comédie) faire pendre un homme avec quatre lignes de son écriture, on peut bien prouver qu'un Négociant est un Banquier. N'a-t-on pas vu anciennement plus d'un roturier prouver qu'il était comte ou marquis, et fabriquer des titres quand il n'en avait pas ?

 

On ne les lui contestait guère, pourvu qu'il traitât splendidement. Pourquoi donc contester un titre aussi vague, aussi équivoque, aussi banal que celui de Banquier ; un titre qu'on accorde aux croupiers d'un tripot ? pourquoi le contester, dis-je, à des gens qui ont raison en tout et partout, puisqu'ils ont en leur faveur des hôtels, des cuisiniers, et autres arguments  irrésistibles ? Soyons plutôt étonnés de ce qu'ils ont choisi ce nom entre tant d'autres, et disons avec Boileau :

 

Ô le plaisant projet d'un poëte ignorant, Qui, de tant de héros, va choisir CHILDEBRAND

 

Tout ce qu'on peut observer au sujet de la prééminence qu'a obtenue le grade de Banquier, c'est que les fonctions les plus utiles ne sont pas les plus considérées. Il n'y a d'hommes essentiels dans les relations commerciales, que les manufacturiers et les armateurs. Toutes les autres classes de trafiquants, commissionnaires, Banquiers, grossiers ou détaillants, ne sont qu'accessoires et agents des deux classes que j'ai citées.

 

Sans parler du manufacturier, dont la profession est dédaignée parce qu'elle ne conduit pas rapidement à la fortune, je citerai l'armateur : celui-ci partage les périls de l'état, expose ses vaisseaux, ses capitaux, dans des établissements lointains et sujets à devenir la proie de l'ennemi. Plus l'état court de dangers, plus le sort des armateurs est étroitement lié au sien.

 

Au contraire, le Banquier n'étant attaché qu'à son portefeuille, pouvant, d'un jour à l'autre, échanger, réaliser et transporter sa fortune, il ne tient ni à l'état, ni aux individus. Si l'on classe les citoyens selon l'intérêt qu'ils doivent prendre au sort de la patrie, le Banquier sera peut-être le dernier de tous, leur opinion unanime peuvent bien servir de règle à des opinions divergentes. Cette question mériterait d'être traitée avec plus d'étendue.  Elle est, ce me semble, l'une des plus importantes dont votre Journal puisse provoquer la discussion pour le bien de cette ville à laquelle il est consacré.

 

Charles Fourier

 

 

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