Ils ont dit
Depuis que nous parcourons le monde, mes mots et moi, nous n’avons jamais dérogé à cette loi : il faut payer d’inconfort la rage de découvrir comme l’amour de savoir. Le voyage est une chose trop sérieuse pour qu’on l’abandonne aux mauvaises habitudes de la commodité. J’ai plus appris dans des bus cabossés et bringuebalants, sur des routes cahoteuses, que dans les cars climatisés, en pays balisé. Je me souviens de mon plaisir à m’affaler sur un lit de misère, dans une chambre douteuse. Il me semblait que mon intelligence des choses vues, senties, frénétiquement appréhendées me venait de ma fatigue même, aggravée par mon détachement à l’égard des choses relevant de l’hygiène élémentaire. Ma sagacité s’accroissait des souffrances que me valait mon envie insensé d’étreindre, oui d’étreindre, toutes celles des «connaissances» que mes intuitions me ramenaient comme des butins sensoriels, forts en rutilations. Je voyageais comme j’écris, en dévorateur du visible et de l’invisible. Un voyage, une écriture, chez moi, c’est la conquête d’une vérité qui n’est pas toujours ni belle, ni chatoyante, ni rassurante. C’est aussi m’en aller à ses relents, ses sueurs, ses déjections, non pour m’y vautrer, mais pour mettre ma propre humilité à l’épreuve du courage qu’elle exige, pour la regarder en face et en accepter les conséquences. D’une telle confrontation, la curiosité sort gagnante, mais alors ce n’est plus la simple curiosité, c’est une passion, dans le sillage d’un paroxysme.