J'ai vu des tyrans

Publié le par la freniere

Je suis damné de par ma mémoire. Je suis de la génération des « Assieds-toi devant le téléviseur et sois gentil » ou mieux connue de certains en tant que « Assis-toé d’vant tévé pis farme ta yeule »… À cette époque, il n’y avait que deux chaînes compréhensibles pour moi, Radio-Canada et Télé-Métropole. Pas de console de jeux, rien. C’est pour dire que la multitude d’informations possibles sur l’actualité était filtrée au strict minimum. Le temps des nouvelles quoi ! Et je les regardais ces nouvelles. Et j’ai vu…

 

J’ai vu des tyrans de partout dans le monde. J’ai vu leurs ombres planer sur tous les pays, toutes les races, toutes les religions et sur toutes les libertés.

 

J’ai vu un homme s’immoler sur la place publique qui protestait contre l’invasion d’un empire totalitaire. J’ai vu un homme qui se proclamait le « roi des rois » rouler avec sa Rolls Royce en or sur les cadavres de son peuple, mort de faim, gisant dans les rues menant à son palais. J’ai vu un pape refuser d’accorder une dispense pour avortement à des femmes ayant été violées par leurs génocidaires dans un programme primitif et barbare de repopulation ethnique. J’ai vu de jeunes Khmers rouges abattre leurs parents d’une balle dans la tête pour prouver leur foi en la « cause » de leur chef juché sur une montagne de crânes. J’ai vu des enfants orphelins, handicapés pourrir dans leurs souillures depuis des décennies parce qu’un sale porc qui se prétendait socialiste était en fait un des pires capitalistes qui puisse exister. J’ai vu une fillette courir nue, le corps embrasé par du napalm résultant de l’invasion d’un empire totalitaire. J’ai vu des enfants mourir de faim depuis plus de quarante ans et sans cesse dans ma tête résonnent les paroles de Jean Ferrat ♫quelque part, rien ne change, rien ne change, rien ne change…♫

 

J’ai vu le premier ministre d’un des plus grands pays qui soit, dire d’aller chier à des travailleurs qui faisaient la grève simplement pour améliorer leurs conditions de travail aujourd’hui avouées inacceptables. J’ai vu ce même premier ministre retirer les droits fondamentaux de tous les citoyens d’une province prétextant le sort deux hommes seulement. J’ai vu mon père inquiet pour sa famille, chaque soir en ces temps-là, se demandant s’ils ne viendraient par pour lui parce qu’il était membre d’un parti indépendantiste. …et on les arrêtait les indépendantistes !

 

J’ai vu tout ça, et bien plus encore. Ces images se bousculant dans ma tête sont pour moi aussi claires et fraîches qu’elles le seraient pour vous si vous les aviez vues hier à RDI ou CNN. Elles me hantent et me hanteront jusqu’à ma mort. C’est mon don et ma damnation, ma mémoire des images… Et là, je vois ces images se reproduire ici. Peut-être pas avec autant de cruauté ou d’inhumanité, mais ai-je vu les premières images d’ailleurs ? Non, je n’ai vu que les pires. Celles qu’on se décidait enfin à nous montrer parce que la situation était devenue trop insoutenable, trop horrible…

 

Mais en ce moment, vous venez de les voir NOS premières images, hier sur votre téléviseur. Hier, avant-hier, la semaine dernière, le mois dernier ou depuis un an.

 

Qu’attendez-vous pour manifester votre indignation à votre tyran ? Quoi ? J’exagère ? « Ce n’est pas un tyran… », « Nous sommes en démocratie… » Eh bien si, comme je vous l’entends dire, il n’y a que les résultats qui comptent, et que les moyens importent peu… NON, ceci n’est plus une démocratie. C’est une dictature masquée. Au Québec, nous avons un premier ministre qui agit comme s’il avait été nommé « El Presidente de por Vida »…

 

Depuis combien de temps réfute-t-il les faits, ment, prétend l’ignorance, ignore les cris de son peuple, conspire, magouille, traficote, bouffonne comme un sale connard… ?

 

Un quart de million de signatures en une seule pétition, ce n’est pas négligeable !

 

Depuis combien de temps met-il en place les pièces artisanes de notre assimilation, de notre disparition linguistique et culturelle ainsi que notre perte d’identité ?

 

Faire assassiner tous les professeurs n’irait pas plus vite !

 

Depuis combien de temps prépare-t-il sa retraite avec un salaire forcément avoué en promettant et donnant tout à l’étranger, creusant ainsi notre tombeau financier pour ne nommer que ce dernier ?

 

Si un tyran fait exécuter tous les professeurs, les docteurs, les intellectuels de sa nation, c’est pour en éliminer la pensée contradictoire, mais surtout pour en éliminer la culture. Si un roi laisse son peuple crever de faim, c’est pour remplir ses coffres d’or. Si on décime des peuples entiers en Somalie ou en Yougoslavie, ce n’est pas seulement par haine ancestrale, mais par cupidité en définitive…

 

Les méthodes de notre dictateur peuvent vous sembler bien bénignes en comparaison aux autres, mais ça ne m’étonne pas. Vous avez déjà oublié/pardonné toutes ses actions antérieures comme la perte de 40 milliards $ par la Caisse de dépôts et de placements…

 

Oui, ça fait partie de ces crimes contre nous qui resteront impunis.

 

Si tous ces bâtards sont morts exécutés ou lentement dans la souffrance d’une maladie incurable ou bien encore simplement tombés dans l’oubli, leurs traces nauséabondes demeurent et leurs fins si méritées soient-elles, ne m’apportent pas vraiment de satisfaction. Parce que ce qui passe le plus à l’oubli en fin de compte, et ce, grâce à vous et vos semblables, ce n’est pas leurs noms, mais leurs actes perfides.

 

Je dis « vous », mais à qui est-ce que je m’adresse donc ? Je parle à vous, qui en 1979 vous inquiétiez plus des dangers de Three Miles Island (parce que ça, ça risquait de nous toucher physiquement) que du sort des femmes en Iran. Je me souviens de vous. Je vous connais. Aujourd’hui, je vous croise dans la rue, à votre travail, aux marchés et dans les restaurants. Je sais que vous êtes de ceux qui regardent les actualités, bien confortablement chez vous, ne questionnant aucunement ce que vous rapportent les médias, acceptant ce qu’on vous présente comme étant la seule vérité « S’ils le disent à la télé, c’est que c’est vrai… » Comme à l’époque, vous ne vous inquiétez que de vous-mêmes tout en tenant un discours tout à fait bon chic bon genre, politiquement correct et évitant toutes confrontations possibles et n’êtes solidaires de quoique ce soit…

 

Par votre apathie et votre soumission, vous donnez tout pouvoir aux puissants de ce monde qui ne sont pas vos voisins, ni vos amis, ni vos bienfaiteurs. Ils se moquent bien de vous, comme ils se moquent des marionnettes qu’ils utilisent et récompensent seulement pour prouver leur loyauté aux prochains pantins. Nous ne descendons pas dans la rue par haine, par mépris (un peu quand même), par dépit ou par soif d’anarchie. Nous le faisons parce que nous voulons que la justice triomphe pour nous tous, pour vous aussi. Pas seulement la justice des lois qui sermonne et bichonne les riches ou qui condamne et accable les pauvres, cette justice qui récompense les malfaiteurs « respectables » et en oublie les victimes. Non, je parle de cette justice qui n’est dictée que par le sens moral et l’amour d’autrui. Cette justice n’attend que votre appui pour se faire valoir et transformer notre société en un état d’équité et de prospérité pour nous tous. Pas pour un quelconque richissime spéculateur venu d’ailleurs. Pour un milliardaire d’ici qui vous dicte sa vérité médiatisée. Je me demande à vous voir après plus de trente ans ; comment pouvez-vous penser que tous ces gens dans la rue ont tort ? Quoi ? Ce n’est pas ce que vous pensez ? Alors pourquoi n’y êtes-vous jamais ??? Je les connais vos phrases toutes faites : « Les manifestations, ça ne donne rien… », « Les pétitions, ça ne donne rien » et ma préférée « La politique, c’est de la merde… ».

 

C’est vous qui répétez les paroles de vos parents et les apprenez à vos enfants : « Dans la vie, si tu ne fais pas de vague et que tu fais ce qu’on te dit, tu vas monter… »

 

Aurez-vous besoin de chaînes aux pieds pour comprendre que vous êtes esclaves d’un système mis en place à l’époque féodale ?

 

J’en profite pour exhorter les individus de tous niveaux de tous les corps policiers des municipalités et de la province à faire une sérieuse introspection à savoir si, dans vos âmes et consciences, vous servez le peuple (qui en fait, paie votre salaire) comme vous en avez fait serment ou préférez continuer dans la disgrâce et le déshonneur entachant ainsi votre réputation et crédibilité pour la prochaine génération. Réfléchissez bien à ceci : même un soldat a le droit de refuser d’exécuter un ordre lorsqu’il considère que ce dernier est immoral ou illégal. C’est même un devoir de refuser d’exécuter cet ordre. Exécuter l’ordre peut tout aussi bien être traduit et condamné en cour martiale…

 

Vous, ayant un des syndicats les plus forts du Québec pouvez appliquer ce droit, ce devoir qui est le refus d’obéir. Vous le faites bien lorsque vous négociez vos conventions de travail. Pourquoi ne le feriez-vous pas parce qu’on vous ordonne de travailler dans l’immoralité et l’illégalité ? N’êtes-vous, comme ceux qui vous dirigent, intéressés que par l’argent et le pouvoir ainsi que l’abus qu’on puisse en faire ? N’êtes-vous que des mercenaires ? Il ne tient qu’à vous de rectifier votre position, de dire non. Mais quoi que vous fassiez, souvenez-vous que le peuple, lorsqu’il est déterminé à changer sa destinée, ne peut être arrêté, seulement ralenti.

 

***

P.S. : Pour ceux qui veulent les noms, je fais allusion à Saloth Sar, Haïlé Sélassié, Duvalier père et fils, Pinochet, Trudeau, Desmarais, Sarkozy, Thatcher, Ceaușescu, Khomeini, Reagan, Bush père et fils (pas mal tous les présidents républicains depuis 1960 en fait), Franco, Tito et un autre que vous connaissez tous et qui ne mérite même pas que j’use mon clavier à taper son nom infâme… Ce sont ceux qui me viennent à l’esprit, là, sur le tas. Mais donnez-vous la peine de voir comment il pleut de la merde partout depuis 1968. C’est là que les images commencent pour moi. Vous verrez et comprendrez la tournure des événements en cours…

Si vous ne réussissez pas à faire le moindre lien, vous ne devriez pas avoir lu jusqu’ici.

Vous avez perdu votre temps, et moi le mien.

 

à Ville Sainte Catherine, le 23 avril 2012

 

Sylvain Ruest

Publié dans Glanures

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