Je ferme les yeux

Publié le par la freniere

Je ferme les yeux et laisse le mot venir, le mot qui bouge sous ma plante de pied, le mot que je froisse à chaque pas mais qui se redresse toujours, graminée têtue, chiendent de consolation. Le mot grimpe jus-qu’à ma main qui ne le voit pas mais le saisit,  sans rien demander,  sans connaître son sens et son sort, ce qui l’attend dans le blanc de la page – un faux blanc, toujours maculé de vestiges, de couches de signes décomposés, de mains coupées dans la marge, paumes  pleines  de syllabes rouges encore vivantes. Le mot exige, parle haut. Le maître-mot veut ma gorge pour battre,  ma bouche pour mordre, il cher-che le réel, éperdument, mais ne sait où le rejoindre. Baudruche. Il s’enfle,  hisse sa sève obscure,  cherche la brèche ou le geste pour fendre le silence,  l’éven-trer, en deux comme fruit trop mûr, noyau à l’air, abricot  doré,  essence  et  substance  mêlées,   chair du monde.

 

Françoise Ascal

Publié dans Poésie du monde

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