Joel Vernet
Né en 1954 aux confins de la Haute-Loire et de la Lozère, il vit à Saint Appolinard dans la Loire quand il n'est pas en voyage ou parti à l'aventure en Afrique, son continent de prédilection.
Années de bonheur en Margeride, dans le village natal, au contact de la nature et profonde solitude.
Il cultive un goût immodéré pour la langue française, la langue d'Oc et sans livre à la maison, il se passionne pour les paysans "qui parlent comme des princes".
A partir de 1975, il fait des voyages déterminants à travers le monde, en particulier au Sahara algérien et en Afrique de l’ouest.
Il est profondément marqué par un long séjour à Gao et en pays dogon.
De 1985 à 1998, il effectue plusieurs voyages en Afrique, en inde et à Cuba.
Il a vécu deux ans à Alep, Syrie, en 1999/2001.
Ces nombreux voyages à travers le monde auxquels font écho plusieurs livres.
Il a dirigé un numéro des Editions Autrement consacré aux Pays du Sahel.
Il collabore régulièrement avec des artistes, en particulier le peintre Jean-Gilles Badaire,
et des photographes, Bernard Plossu, Julie Ganzin, Pierre Verger.
Il a participé à de nombreux ouvrages collectifs et livres d'artistes dont Cri de Pierre, avec une peinture de J.G. Badaire, collection Le Vent refuse et éditions La Part des Anges et Dans les chantiers d'Afrique, avec 5 peintures originales de Jacqueline Merville, collection Le Vent refuse.
Il a réalisé plusieurs émissions radiophoniques pour France Culture (de 1983 à 1997, Les Nuits Magnétiques,Les chemins de la connaissance). Il a consacré notamment des émissions radiophoniques à l'écrivain malien Amadou Hampaté Bâ en direct de Bandiagara (Mali).
Il crée en 1986 avec Philippe Arbazaîr, conservateur à la BNF, la revue Noir sur Blanc dans laquelle furent publiés de nombreux artistes contemporains du monde entier, poètes, peintres et photographes.
En octobre 2004, il édite avec Marie-Ange Sébasti un livre collectif sur le site d'Ougarit en Syrie : Ougarit, la terre, le ciel, éditions La Part des Anges.
Bibliographie
J'ai épuisé la ville, Presses de Brandes, 1985
Lettre de Gao, Lettres Vives, 1988
Lettre à l’abandon dans un jardin, Fata morgana, 1994
Totems de sable, Fata morgana, 1995
La main de personne, Fata morgana, 1997
Petit traité de la marche en saison des pluies, Fata Morgana, 1999
Les jours sont une ombre sur la terre, Lettres Vives, 1999
Le silence n'est jamais un désert, Lettres Vives, 2000
Sous un toit errant, Fata morgana, 2000
Au bord du monde - Entre Haute-Loire et Lozère, éditions du Laquet, 2001
La journée vide, Lettres Vives, 2001
Lettre d'Afrique à une jeune fille morte, Fata morgana/Cadex, 2002
La nuit errante, Lettres Vives, 2003
Lâcher prise, Escampette, 2004
La lumière effondrée, Lettres Vives, 2004
Visage de l'absent, Escampette, 2005
L'abandon lumineux, Lettres Vives, 2006
Chemins, fougères et détours. Un tour du monde en Ardèche, La Part des Anges, 2007
Une barque passe près de ton seuil, La Part Commune, 2008
Le désert où la route prend fin, Escampette, 2008
Marcher est ma plus belle façon de vivre, La Part des Anges, 2008
Celle qui n'a pas les mots, Lettres Vives, 2009
Le regard du coeur ouvert, Des carnets (1978-2002), La Part commune, 2009
Le Séjour invisible, Escampette, 2009
L'ermite et le vagabond, Escampette, 2010
Pourquoi dors-tu, Jonas, parmi les jours violents, La part commune, 2011
Vers la steppe, Lettres Vives, 2011
Journal fugitif au Moyen-Orient, Le Temps qu'il fait, 2012
Il est, je le sais pour en avoir subi les mirages, une littérature de l'engloutissement, du cynisme, de l'or noir. Mais, très vite, au regard de ce que nous vivions, j'ai compris que l'on devait, coûte que coûte, emprunter l'autre voie, celle du soleil royal, de l'enchantement, de la surprise, de l'étonnement d'être en vie sous peine de nous fracasser contre les murs, de périr sous les ponts, de ne délivrer que des livres morts de la cage brûlée du cour.
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L’hiver, seul. Qui veut s’engouffrer dans la maison. Mais les saisons ne sont pas une lassitude.
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J’ai essayé de vivre à leur manière. J’ai échoué d’avoir grandi, d’être allé seul, en absence de tout soutien. Je sens la lame froide des trahisons entre les os. Je sens tout ce qu’on m’a volé,la dépouille qui est aujourd’hui à mes pieds, ce butin que l’on m’a pris qui n’est que de la joie. Il n’y a pas de plus grand malheur que de perdre la joie. Perdre la joie c’est comme si l’on vous ouvrait les veines, comme si l’on vous mangeait le cœur.
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Il n’écrira plus. Il mettra le feu à toutes les lettres, à tous les livres, aux pages à venir. Il ira vers la mer, là où les vagues se brisent, où une rumeur nouvelle s’entend. Il ne veut même plus le pardon.
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Ils vous regardent, percent sous la lumière de vos yeux, le sabre de l’échec qui vous a fauché. Ils s’éloignent alors, terrorisés. Ils ne veulent pas de ce chemin.
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Le tableau, l’un des premiers tableaux du peintre du silence nous dit très bien cela : le calme effroi. Le peintre avec lequel, si souvent, j’ai partagé le pain, le long hiver, le dénuement. L’ami qui a toujours volé à mon secours, qui a toujours su que nous sortirions de ce naufrage. L’amitié, c’est bien cela, ce lien qui n’a besoin d’aucune parole, d’aucune preuve, d’aucun certificat.
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Ils mettent parfois leur vie à l’abri dans les granges, sous l’hiver des ponts, autour de pauvres feux que l’on voit éclairer nos vies de fanfarons. Ils ont leurs chiens près d’eux. Le désastre de leur vie à leurs pieds.
Je n’aurai jamais assez d’amour pour les aimer assez. Notre monde n’a plus d’amour. Regardez-les ces guerriers de pacotille, ces vendeurs de mauvaises pensées, de mensonges.Ils croient tenir les rênes, toutes les rênes. Ils brûlent leurs forces à des travaux, à des soucis insignifiants. Nous sommes, pour de bon, entrés dans le siècle des piètres comptables. Ils s’agitent dans leurs journaux, derrière leurs écrans misérables. Ils portent des coups aux effets incalculables. Ils piétinent ce monde contre beaucoup d’argent, puis ensuite ils énoncent des principes de charité.
J’ai lu cela dans le regard de mon père, autrefois, quand il laissait son sang sur nos routes pour bâtir, avec une poignée d’autres, ce qu’on ne leur reconnaîtrait pas. A voix basse, j’avais cinq ans, il m’a murmuré d’entrer lentement dans ce monde qui n’était qu’une foire d’empoigne. Il s’exprimait toujours, venant pourtant de la terre, d’une langue portée à son apogée, d’une précision qui me ravit encore.
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Je vous ai suffisamment aimée pour savoir souverainement vous perdre […] Vous avez fait de moi un ciel à jamais rendu aux oiseaux, aux vents fous, aux beaux soleils. Je peux aller désormais n’importe où dans le monde. Vous n’oublierez jamais ce que je vous ai donné, plus personne ne saura vous le prendre, que cela est un don inégalable auquel, seule la mort mettra un terme.
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On ne peut rien contre celui qui a ouvert une seule fois vraiment les yeux. Qui entend, en profondeur les ricanements au fond des gorges.
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Ils ne m’ont pas reçu à leur table et combien je les comprends !
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Ces visages. Ces innombrables visages qui le fascinent encore. Pourtant, visages fermés. Qui ne posent jamais aucune question. Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Visages sans les mots.
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Un temps, il s’était embarqué vers l’Ailleurs, des voyages peu propices à l’enchantement. Il s’était refait, cependant, une santé de fer. Il s’était lavé les yeux pour toujours. Il avait entreposé des réserves pour des siècles. On l’avait cherché un peu, on avait tenté de le suivre à la trace. Sans grand succés. Puis très vite, les siens avaient baissé les bras et il s’était retrouvé seul, avec des rames brisées, sa frêle embarcation. Sans savoir où aller. Il lui fallait trouver sa voix, la rendre unique, singulière. Longtemps, il vécut à perte de ce métier qui ne s’apprend pas. L’air se raréfiant dans les villes, on installa à la campagne son corps sans joie. Ce fut bel et bien une sorte de bénédiction. Il ne conversait plus qu’avec les oiseaux. Beaucoup le plaignirent, se rengorgèrent de la vitesse des villes . Il lui fallut vivre, sans lâcher prise, avec ses fournaises, avec ses démons. On lui trouva un emploi dans les faubourgs et il suivit quelques temps cette voie médiane qui n’est, au fond, qu’une impasse . Il fut l’homme des impasses, celui que stimulent l’échec, l’échouage. Mis à genoux, né fatigué, il rejaillissait plus gaillard que jamais.[…] Grisé par le mouvement, il passa sa vie à éhapper, à s’échapper, à sortir de soi, ce qui n’est pas, croyez-le une mince affaire. Déjouer leurs rites, voilà ce que fut sa palpitante aventure. Mais l’atteindrait-il jamais ce point de non-retour, serait-il jamais assez clown ?
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Le peu a tout exigé. A requis toute la force de l’inutile, l’abondance des œuvres désoeuvrées. La fraternité des soirs sauvages, de l’Utopie, de la révolte.
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J’ai traversé de nombreux déserts, j’ai franchi des cols, j’ai disparu longtemps dans la vie invisible, me consacrant aux travaux dérisoires. J’ai regardé tomber la neige devant les vitres, le tilleul blanchir puis reverdir à la lumière du printemps. J’ai attendu l’été dans les chambres fraîches. J’ai lu de nombreux livres dans les herbes, écoutant le bourdonnement des abeilles, contemplant les ballets somptueux des libellules qui battent l’azur de leurs ailes blanches. J’ai dormi dans les cabanes abandonnées, j’ai longé des lisières, détruit les pièges des braconniers. J’ai mis toute une vie à me hisser vers la vie la plus simple, la plus haute. Sans effort, j’ai fui les foules, les honneurs. J’ai cherché l’homme nu, le frère.J’ai remué ciel et terre pour vivre sur les cimes où le désir est tel, le silence infini, mais je ne crois avoir atteint ni l’un ni l’autre.J’ai cherché l’or dans l’amour de quelques femmes, dans le regard d’enfants. J’ai connu la joie et la honte.Je fus vraiment seul sur ce chemin où courent encore avec moi quelques herbes folles. J’ai navigué dans un désert qui n’est rien d’autre que la vie bruissante qu’une lame vous renvoie de temps en temps en plein visage.
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J’ai écrit des livres, livres qui m’ont peu à peu envahi , expulsé. Jamais je n’ai pu contrer leur assaut. Alors, j’ai laissé faire. Ils m’ont guidé dans cette sorte de nuit où j’apercevais de la clarté. Ce ne sont pas vraiment des livres, non, je ne me prends pas encore pour un écrivain. Ce sont plutôt des lueurs, de petits feux de brousse qui ont mis le feu à ma propre vie. J’ai allumé quelques lampes, un point c’est tout. J’ame à en mourir cette odeur de pétrole qui s’installe toujours aux abords de la nuit, ces épiceries de bord de route, ces gargotes d’Afrique où ma vie s’est si souvent dispersée, prenant l’Ailleurs en pleine gorge, buvant ses eaux fraîches. J’ai habité des campements. Je fus pauvre parmi quelques autres qui avançaient avec moi, ds flots de vie, c’est incroyable ! Seul le mouvement emporte mon adhésion. Des champs de mil barraient l’horizon. Des silhouettes allaient et venaient sur des sentes minuscules, la daba à l’épaule. Des soldats, sans raison , montaient la garde, allongés sur des lits métalliques. J’apercevais leurs jeux de dames abandonnés sur des terrasses battues par les pluies, leurs vêtements en loques séchant sous des vérandas misérables ne protégeant plus rien.
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Le jour, avec les enfants, nous sortions les troupeaux de l’enclos de branchages et les poussions en direction des montagnes, vers les pâtures qui n’appartenaient à personne.Parfois, dans les rochers, j’écoutais la vieille radio que nous emportions toujours avec nous pour surprendre les chants en langue peule. C’était merveille que d’entendre ces voix en pleine nature, ces voix rauques, nasillardes, enfantines. Les contes aussi, à travers les ondes, nous enchantaient et déclenchaient les rires.
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Qu’il n’y ait plus, entre le monde et les livres, que cette lumière que nous offre le visage invisible du lecteur. Cette lumière a tout exigé de moi. Tout. Elle m’a tout pris.
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Désormais, je pressens le Tout dans l’infime, le Très peu, dans le balancement de la moindre herbe sauvage, dans la lueur pure des ciels de juin ou de novembre, dans les yeux d’une poignée d’enfants, dans ceux de mon voisin qui vient suvent frapper à ma porte avec ses rires, sa parole juste, des légumes frais dans ses deux bras grands ouverts, dans l’Amour immense exigeant plus que l’Amour et l’Amoureuse. Oui, la vie immense a dévoré mon petit cœur. Vous voyez, la vie m’est offerte en abondance. Alors, de quoi me plaindrais-je ?
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J’écris peut-être pour cela : rencontrer des hommes sur ma route.
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Un jour, votre stupéfaction sera à la mesure de notre silence immense.
Joel Vernet