Jusqu'à la peau du bois

Publié le par la freniere

Lorsque le vent forcit, la terre devient collante. Elle se déguenille pour faire place à la neige. Les érables ont la tête comme un feu de forêt. Le vent dévore un morceau de colline, laissant des miettes pour les ruisseaux. Lorsque tout gèle et craque, c’est dans ma tête que je voyage. L’eau du rêve ne connaît pas la glace. Les mots se posent comme un nuage sur le ciel, une caresse sur la peau, un infini sur du néant. D’une phrase qui n’existe pas, j’extrais des mots qui existent. D’une image en noir et blanc, je tire des couleurs. Celui qui aime les nuages a les deux pieds sur terre. Il n’y a pas de mots sans images ni de parole sans musique. L’idée de l’arbre commence par la terre. Ses racines méditent jusqu’à penser les branches. La sève est un courant mental. Il y a des mots qui sont comme la pluie, des flocons dans la neige des pages, la chlorophylle qui s’immisce jusqu’à la peau du bois, le bruit que fait le temps. Que les portes soient ouvertes ou fermées, j’y entre par les mots.

 

Au pied de la montagne, des silhouettes se découpent sur des parois de larmes. J’écris penché sur l’herbe comme un enfant sur un cahier. Appuyé sur la vie, je sens. Je touche. Je prends des notes. J’herborise la page. Atteint de graphorrhée, j’accueille ce qui n’est pas. Il arrive que l’inflexion d’une virgule change le sens d’un mot. Les gestes qu’on commence, un autre les poursuit. J’ai commencé à lire sur le sable, sur la rouille des choses, sur la substance du monde. J’ai tout manqué sauf le manque. J’en ai fait une maison. Je cherche le centre où tout se tient debout, changeant l’horizon en verticale, mettant le bas plus haut, rassemblant tous les coins. Je n’écris pas pour me venger de la mort mais célébrer la vie.

 

La solitude est pleine de monde que l’on ne peut toucher. La vie s’écrit n’importe comment. Ses brouillons sont infestés de fautes. On passe son temps à mettre au net. Aujourd’hui, je corrige la copie de l’automne. Je la prépare pour l’hiver. Les choses qu’on ignore supportent celles qu’on voit. Les choses qu’on imagine relèvent celles qui tombent. Le fond de tout cherche à monter comme le ciel cherche à descendre. L’âme se déguise en femme et le corps en soldat. Il faut déchirer les masques, laisser tomber les rôles, mettre les choses à nu. Ce que l’on touche, même un lac même un arbre, ce que l’on sent, même une pierre même une fleur, ce que l’on voit, même en rêve même en vrai, on l’emporte avec soi. Mot à mot, virgule par virgule, je déplace les meubles dans la maison du livre.

Publié dans Prose

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article