L'eau de pluie
Les gouttes de pluie s’acharnent sur le toit. Elles rêvent à voix haute. L’eau réveille la terre, la mousse des graviers, les vers luisants, les bourgeons qui sommeillent. Les collines verdissent entre les plaquebières. L’eau s’attarde longtemps aux aisselles de l’herbe. Elle répare les arbres, redresse les brindilles. Elle recopie l’azur, remplit le vide entre les phrases, gonfle les mots sur l’éponge des pages. Le pied unique des érables agite ses orteils. Je sors sans parapluie sans chapeau sans raison. J’embrasse l’eau de pluie, l’eau de l’âme, l’eau de vie. Les os oscillent dans mes propres épaules. Les lignes d’eau vacillent. Le discours le plus nu s’aplatit sur la pierre. Je touche ma propre humidité. La pluie est sans visage, sans commencement ni fin. Il pleut comme un désir fugace, une caresse rapide, un pas sur un caillou. Mes regards font des vagues, de minuscules vagues berçant le paysage. Je ne suis plus enfermé dans ma tête. Mes yeux, mes oreilles, ma bouche ouvrent leurs écoutilles. J’avance dans une musique liquide, les doigts sur les narines des flûtes, les os frappant sur les tambours de peau. Je m’éparpille dans les gouttes. Je m’éveille avec un goût de mer. Je crois être tombé de moi. Je m’accroche aux nuages et aux arbres. Je bois à l’eau des morts, l’eau des mots, l’au-delà. Debout sur une seule phrase comme un héron verbal, je mêle à l’eau de pluie le sel de mes larmes.