La forme qu'on est

Publié le par la freniere

Ce qui est à la mode a le côté périssable des choses. L’exubérance de l’automne prédispose à l’hiver. Sur une scène invisible, la nuit répète sans costumes l’apparition du jour. L’auteur apporte au livre ce qu’il prend chez les autres. Le lecteur y trouve ce qu’il avait en soi. Tous les lecteurs sont des lecteurs d’eux-mêmes. Le Je qui parle n’a pas d’âge. Ce n’est pas l’Autre, c’est un Nous. La pensée baisse les yeux devant l’éclat des mots. Toutes les choses s’appellent, de l’albumen des plantes à la beauté du monde, de la transparence de l’eau au sable du désert, du premier germe au souffle d’aubépine. L’allongement de la phrase imite celui des pas. On commence par la route pour finir à bout de souffle. La nourriture du monde entre par les oreilles, par le nez, par les yeux, par la bouche. Un peintre redonne aux choses la profondeur qu’elles possèdent. Un musicien redonne sa présence au silence, celui qui sert de soutien à la texture sonore. Le poète donne à voir la part invisible du temps, un ange dans un chat, la mer dans une tasse, la profondeur des abimes dans une flaque d’eau sale, l’odeur du jasmin dans un rire d’enfant, un air de Bach sous la pluie. L’homme s’habille du paysage qui l’entoure. La beauté d’une fleur est un peu la sienne. J’ai beau être sceptique devant l’homme, je ne renonce à rien de ce qui vit. Les chevreuils m’écoutent quand je parle au soleil. Je sais de mieux en mieux ce que j’ignore. Je préfère la pauvreté à l’ornement. De tout ce qui se dit à tout ce qui se tait, je me taille une route. Tant qu’à prôner la paix, j’ai fini par aimer le dénouement heureux des contes de fée. Je ne veux plus haïr personne mais grandir en chacun.

 

Le doute prend sa source dans la réalité des choses. L’arbre voyage dans ses graines transportées par le vent. Peu importe d’arriver, il suffit de partir. Tant de miracles font la route. Même les gens de poussière attirent la lumière. On ne voit pas ce que l’on voit. Il faut que l’œil habite l’horizon, l’oreille la musique, que la nuit montre ses couleurs. Derrière les apparences, il faut ouvrir les yeux sur les secrets du monde. Dans la matière des jours, j’ai appris comme la mite apprenant la fourrure, les vers dans le fruit, l’albumine dans l’œuf. J’ai grandi comme un fil dans le tissu des heures, sans pose ni boniment, l’épiderme sensible comme celui du bois. Chaque seconde nous enveloppe de temps. Le blé trouve son sens dans l’espoir d’un pain. La ligne d’horizon agrandit notre pas. Dans chacun de nos gestes, il y a toujours du bon embrassant le mauvais. Chaque page est un papier froissé dans les phrases sont les plis. Pour y lire, il faut lui redonner sa forme. Le ciel est dans la vitre où je regarde, dans les yeux, dans l’air que je respire. Il atteint jusqu’au fond des pupilles, jusqu’au fond des poumons. Il y a une part de la terre est dans une tasse d’argile, du sel de mer dans un béret de marin. Dans le concert de l’humanité, chacun joue sa partie. L’élément n’est pas tout. Il y a aussi l’ensemble, le corps, la gestuelle. Tous les atomes collaborent à la musique de l’âme, des pelures de pomme jusqu’au surnaturel. Nous sommes plus que la postérité de ceux qui ont vécu. Nous sommes aussi celle de tous ceux que nous avons été. La nature n’a pas attendu la science pour créer. Le monde prend la forme qu’on est. Tout le temps est perdu sans amour qui le porte.

Publié dans Prose

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