La lumière surgit

Publié le par la freniere

Il me faut peu de chose pour oublier ma vie boiteuse, une simple odeur me prenant par surprise, un appel de ma fille, un sourire de mon loup, une ortie au milieu d’une pelouse. J’en oublie tout, les lézardes du mur, le pain sec sur la table, la cruche cassée qui mouille mon cahier, le froid de canard du nord, les plombs qui sautent par intermittence, les vieux qui ne sautent plus, la sale odeur des marchands de babioles. La lumière surgit pour éclairer la nuit. L’eau se met à couler dans la plomberie du cœur, une eau fraîche et bonne à boire, presque du vin de glace. Ce sont les jambes des femmes qui font bouger la terre, les pas des enfants, les roues de vélos au sourire voilé.  Les adultes, avec leur char de l’année, font tout pour les freiner. Croyant prendre la mort de vitesse, ils accélèrent en vain. Devant les yeux de la liberté, on oublie la solitude, la faim, le froid. On en fait des chansons, des poèmes, des tableaux, des tags sur les murs. Les trous dans les souliers laissent entrer la musique, des orteils aux oreilles. Les pieds embrassent la terre. Les yeux se laissent porter par les nuages. Un tacatam fait la ribote sur le dos, un tic-tac indocile laisse valser le temps comme si le cœur jouait à la marelle. On ne sait pas ce qu’on écrit, mais on sait ce qu’on vit. On ne sait pas où l’on va, mais on sait d’où l’on vient. Le paradis d’enfance ne meurt pas. Il se cache derrière nous et répare nos faux pas. Il rafraîchit le désert et apporte ses rires.

        

Le cul n’est pas plus important qu’un crayon, la tête pas plus qu’une main. Certaines caresses pèsent plus qu’une cathédrale dans la mémoire de l’homme. Un salaire n’est qu’un trou dans le budget du cœur. C’est l’argent qui a mis la terre en faillite, le cœur en glace, l’amour en dernière place. Un café noir comme un coup de poing m’éveille au matin. L’eau du regard suinte par les trous des pupilles et le pinceau des cils ajoute des couleurs à ce qu’on ne voit pas. Les routes sur le papier nous mènent à l’invisible. J’y marche avec les chats dans les gouttières, les chiens dans les ruelles, les oiseaux s’échappant de leur cage, les vagues dans la mer, le cheval au galop, le travail des doigts du silex à l’aiguille, une pendule sans aiguilles qui a perdu son temps, les fées dans la forêt de Brocéliande, Rimbaud au milieu de ses mots, la gueule des brochets dans la nuit des grands fonds, Achab dans la tête de Melville, la lumière dans l’éclaircie des ombres.

        

Par la magie des mots, je suis un grain de grêle dans l’odeur des sapins, un flâneur sur le quai au milieu des mouettes, un brin d’herbe au soleil, un nid d’arêtes et de nageoires cherchant l’eau de la mer, une fleur de novembre, un œuf dans le creux de son nid, une seconde égarée dans une caisse d’horloges, une montagne, un ruisseau, un proverbe d’oiseau sous le toit d’un feuillage. Je file à travers la tempête. L’œil de l’hiver m’accompagne avec ses cils de glace grattant le paysage. Les arbres soulèvent le ciel avec leurs branches épaisses comme le corps d’un homme. Le long de la galerie, de fines larmes coulent et se forment en glaçons. Trempés dans l’eau d’érable, on les donne aux enfants qui en lèchent la tire.  La forêt s’agrandit d’une année l’autre. Chaque nouveau sentier prolonge l’espérance. Les sentiments connaissent ce qu’ignore la pensée. Aucun silence n’est semblable.  J’apprends à parler pierre à pierre, à écouter longuement l’eau, à écrire le vent, à détacher les larmes dans les arbres. Ce que l’on n’a pas dit est un voyage reporté, le tunnel des jours où se perdent les mots. Les parenthèses du voyage se remplissent de pas, de paroles, d’images. Il y a des jours comme des murs où l’on cherche la porte. Les arbres sont témoins des messages du vent. Sous les pins parasols, on mange des pignons. On se repose. On rêve. La vieille grange est tombée sous le poids de la neige. Je cherche des indices parmi ses restes, son vieux corps tout démantibulé, des phonèmes agrestes, des virgules en forme de esses, quelques rares mots incultes sous la patine des planches. Du crayon au numérique, je n’ai rien gagné. J’ai perdu l’âme des mots, les taches d’encre, les bafouilles, les crayons à ronger. Quelques encore sur les débris préparent les toujours.

        

L’éternité se passe de l’avenir et des taches de temps sur la peau de l’espace. Peu lui importe les bourrelets du moment, les rides sur les arbres, les excréments sur la nuque des statues. La moindre lumière recommence le monde, de l’éclatement solaire à la lueur des chandelles. Chaque goutte de pluie a sa manière d’être mer, chaque flocon sa façon d’être neige, chaque geste sa manière d’être là, chaque homme sa façon d’être unique. Je ne cherche pas à me faire une place. Le reste partout. Je n’ai qu’une planche qui me sert de pont. Je la transporte avec moi d’une flaque à l’autre. Les doigts tachés d’encre et de mûres, je tartine les pages d’une confiture de bois, d’une écriture d’orties, de phrases végétales, de fruits sentimentaux.

Publié dans Prose

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