La métaphore inachevée

Publié le par la freniere

 

Un homme heureux sur une chaise lui redonne sa sève. J’aime la compagnie de l’eau, des arbres, des lutins, des oiseaux tirant par le bec un ver de printemps, une paille, un insecte, la pie voleuse de petits riens, l’épeiche râleuse avec son cul rouge. Je m’éloigne des esclaves et des maîtres à penser. Je parcours la vie sur une balancelle. Le nez en l’air, les pieds dans l’herbe, je m’entête à écrire comme un nœud sous l’écorce, un œuf dans un nid toujours prêt à éclore, un neuf dans un jeu de carte qui se prend pour un as. Plus les vendeurs mentent, plus le monde les croit. Plus le Dieu est cruel, plus les hommes l’adorent. Il faut laisser le plus de place possible à la bonté. Il en restera toujours moins pour la haine. Les mains qui tiennent un portefeuille désapprennent la peau. Je pose mes empreintes dans celles du héron, mes yeux dans le regard d’un faon, mes pieds dans les fougères comme des mots sur le papier. Je dépose ma voix dans le trou d’un vieil arbre, ma besace trouée en haut d’un châtaignier. Debout dans la stupeur d’exister, je regarde la vie chanceler sur la route. Elle ne supporte plus la fièvre des affaires. Je lui offre une épaule mais c’est elle qui me porte. Je m’accroche à mon encre, au bruit d’un dictionnaire que l’on ouvre au hasard, au crissement du papier, aux livres déjà lus et qui m’appellent encore, à l’oreille musicale des trembles sous la finesse de l’archet, à l’herbe qui verdoie le long d’un mur de pierre, à la peau tiède des pommes et à celle des paumes. Mes mains dans la lumière en repêchent les ombres et donnent à la parole la présence des choses. Parmi tant de questions, la beauté est une réponse à celle de la mort.

        

Il est des nuits qui inventent leurs mots. Il est des jours qui les effacent. Il est des pieds qui inventent la route. Il est des routes qui effacent leurs pas. Il est des mains qui naissent des caresses. Il est des poings qui les détruisent. Il est des yeux qui inventent les formes et d’autres qui les brisent. Il est des doigts qui se cherchent une main. Si la lumière s’éteint, il est des ombres qui s’allument. Il est des heures échappées de la montre et des horaires qui les rattrapent. Ici, au milieu des gernouilles et la lenteur des bovins, je lis des livres odorants aux images sonores. Les arbres, ces grands feuilletonistes, écrivent l’histoire avec l’encre du vent. Les oiseaux sans vergogne viennent faire leur nid dans le lit des héros qui se lèvent au matin avec la paille aux mains en écrasant des oeufs. Je gratte avec un mot la peau de la pensée sans jamais rien comprendre. Vivre n’est pas comprendre mais inventer sa vie, toucher les choses à neuf à mesure qu’on les fait. Quand la musique éclate, le rêve fait pression sur les tympans du monde. Les herbes se redressent pour voir le soleil. Les plantes font des fleurs pour boire l’eau du ciel. Toutes les choses cachées n’attendent qu’un regard. Je traverse la vie comme un nageur oblique unissant les deux rives. Quand il m’arrive de ne plus rien écrire, ma main à la souffrance d’un moignon. La fleur qui a soif n’attend rien d’un nuage sans pluie. Je poursuis chaque matin la métaphore inachevée du monde.

 


Publié dans Prose

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