La prophétie de la rivière
L’amour, quand il a transformé ton dedans, Elijah, c’est … plus que les mots qui s’écrivent, rappelle-toi ça, quand tu écriras, Elijah, rappelle-toi quand tu écriras, tu parleras dans la clarté de tes mots, mais derrière, il faudra faire deviner et sentir les mots qui n’ont de signes que dans le coeur, dans le silence, et dans la nuit. Les mots qui ne s’écrivent pas, mais qui se ressentent, qui s’éprouvent, dans l’âme, là où tout s’écrit, là où rien ne peut se lire de dehors, tu comprends ? Si je pouvais écrire, j’écrirais des livres où la vraie histoire n’est pas visible, avec les signes qu’on écrit, mais elle serait comme ce qui se respire, une part d’ombre si douce quand le soleil a beaucoup brûlé le dos, une part d’ombre qui garde sa lumière comme un secret, comme un parfum. Tu comprends, Elijah, tu comprends ? Ecoute bien, parce que les paroles d’une vieille femme qui a beaucoup souffert, qui a beaucoup marché et qui a aimé sans retour, c’est peut-être comme un parfum, il faut qu’il soit respiré pour qu’on sache que la vie est pleine de sens, et jamais sans amour.
Les mots du silence de qui aime, agenouillé dans son âme et sa solitude, tu ne peux pas les écrire, ils ne sont pas au monde, les mots qui n’habitent que notre souffle et notre sang, tu ne peux pas les écrire, les mots sans forme qu’une petite enfance brisée pleure près d’une rivière, tu ne sais pas ce qu’ils sont ni où ils vont et quels sont les signes qui peuvent les proférer sur le monde, les mots de Sam abandonné seul, sans secours, gardien de sa douceur et les mots pour dénouer la dureté de Tom et son plaisir à faire le mal, tu ne peux pas les savoir, les mots vrais, ceux que celui qui lit doit trouver tout seul entre les pages, ils ne sont pas écrits dans les livres, ce sont des mots invisibles, entre les mots, ce sont des mots que ta page doit faire lever et entendre, quand même, ils sont portés par l’âme, ils naissent comme un parfum dans l’intime de qui écrit avec tout son être, corps de terre et âme de ciel, quand la prière intérieure, qui n’a pas de couleur ni de limites, prend de plus en plus de place, quand une petite aube, un peu de cette âme prend enfin l’espace qui lui revient, de toute éternité, et qu’elle te donne sa musique, et son pardon, Elijah, son mystère, alors quand tu laisseras parler la joie plutôt que l’accablement, la grâce plutôt que l’amertume, le respect du silence te viendra et avec lui, des mots dignes de le rompre, et ils prendront leur place de majesté et de rayonnement, et tu verras, les vrais mots des vrais livres sont invisibles, ne l’oublie pas, ils sont dans ceux qui lisent, et s’éveillent par la lecture, et demeurent dans leurs yeux et sous leur peau, ils se lèvent de leur rencontre, et vont rejoindre la grande espérance d’un monde plus doux et plus près de l’humilité, un monde invisible qui nous attend, ils vont nourrir les rêves, têtus et courageux, dans le parfum des matins où je me suis appuyée sur eux pour rester vivante.
Il te faudra trouver les mots qu’on ne lit pas, secrets et si vivants que rien ne les effacera jamais dans le coeur de ceux qui entreront dans tes pages, Elijah, des mots assez puissants pour se poser dans l’être de ceux à qui ils seront lus parce qu’ils ne savent pas lire, il te faudra veiller et accueillir ces mots-là, si rares et si pleins de vérité et de tendresse, que la dureté n’est jamais si dure que leur tendresse peut être tendre, et que la méchanceté des sans amour n’est jamais si laide que la lumière d’aimer ne peut un jour les atteindre et leur donner le désir de changer. Il te faudra trouver ce chemin qui va doucement vers le coeur du coeur et l’âme de l’âme, là où tout s’écrit, se garde, et là où rien ne peut se lire qui ne soit pas intérieur, tu comprends ? Je te l’ai dit, parler de l’amour, c’est parler de notre espace divin, ou de notre plus grande lumière, qui fait la clarté pour faire deviner les mots des regards, les mots du silence, les mots des baisers retenus et des caresses empêchées, les mots qui essuient les visages en larmes, ces mots que seul l’amour peut écrire, quand il les donne à ceux qui ne savent pas lire, pour qu’ils aient une langue, un chant, une vérité à aimer, pour vivre. Tu t’en souviendras ? Ecris, Elijah, pour ne pas oublier la beauté d’aimer. Ecris. Il te faudra trouver les mots qui n’ont pas d’apparence, pas trop, mais qui diront le secret, le silence, et cet endroit où habite à jamais l’amour qui n’a connu du bonheur que l’espérance. Je te l’ai dit, parler de l’amour, c’est parler de Ce qui n’a pas de nom en dehors de notre espérance, c’est s’approcher de ce que peut-être ici on ne peut pas connaître, les gens disent Dieu, parce qu’ils n’ont pas d’autre mot, pour dire aimer qui ne finit pas.
Olympia Alberti