La transparence du monde

Publié le par la freniere

 

Il y a un peu de chaque fleur dans l’homme, un peu de mer, un peu de ciel. Un peu de mort sommeille dans chaque arbre. Le ventre creux d’un pas dévore le chemin. Je touche l’impossible avec la main des mots. Leurs dix doigts dessinent la transparence du monde. Quand le désert s’efface, les oasis sont inutiles. La faim d’aimer pétrit son propre pain. Lorsque les choses absentes imposent leur présence, il me faut inventer à la mesure de l’homme. Les mots restent vivants dans la bouche des morts. C’est son passé prochain que chaque geste poursuit. Dans une main tendue vers l’autre, c’est la bonté qui s’offre. Je regarde un jardin avec des yeux en fleurs. Sous chaque brin d’herbe, la terre entière croît. Lorsque la mort intente le procès de la vie, nous sommes les seuls juges.

         J’aurais voulu garder les yeux des premiers pas. Dans l’arbre qui grandit, chaque branche est le rêve d’une racine. C’est dans le vide entre les branches qu’on aperçoit le ciel et que passent les anges. Il ne suffit pas de crier vers le haut pour que les mots du ciel retombent sur la page. Chaque point d’arrivée est un nouveau départ. Les nerfs jouent aux dés sur la table du corps. Les pas couvrent de peau les os broyés des routes. La source coule pour être bue. Les fleurs ont en commun les yeux qui les regardent. Vivre n’est jamais l’image qu’on projette. Il faut apprendre à s’élargir dans le rétrécissement des jours, affronter la sourde oreille, le mur aveugle, l’écho muet. Je parle d’absolu avec des mots de rien, un peu de ciel à mettre en terre, un peu de graines à mettre en rêve, un peu d’images à mettre en page.

         Le réel est un banquier avare de bonheur. Il compte ses sous derrière une porte close. Le rêve qui s’en va laisse toujours quelque chose, une lampe allumée, un verre d’eau de pluie, une chaise encore chaude. Si on creuse au plus profond, même dans le malaise ou le malheur, il restera toujours l’amour. Les langues mortes survivent dans les langues vivantes. C’est parfois mon grand-père qui parle par ma voix. La vie se cogne au vide entre les hommes. De chaque pas perdu, je me fais une marche, sans savoir où mène l’escalier. Chaque jour n’est jamais qu’un naufrage évité. Dans la préscience du vol, un œuf germe en plumes. La faim contient le pain comme le silence la parole. Les ombres bougent dans une maison d’air. Une silhouette se dresse devant la porte, habillée de froid ou de chaleur, quêtant l’espoir et la tendresse. Mes mots se retrouvent toujours au début, où je me recommence. La nuit ne tombe jamais. Elle monte vers la lune. Je ne vais pas à la mort. Je me rends à la vie, les deux mains grandes ouvertes.


Publié dans Prose

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