Le bain de foule
Je sors à peine de la ruche électronique, le bain de foule, la douche aux décibels. Suis-je trop vieux ou le monde trop vite pour se souvenir de l’eau, de l’air, des arbres, de la peau et des os ? Coincé entre les spare change, les chiens bâtards, les barbies et le bmw, y a-t-il une place pour avoir un verre d’eau, pour uriner sans payer de taxe, pour parler aux oiseaux sans qu’on me prenne pour un fou ? Les couteaux qu’on enterre la nuit font saigner le matin. La vie rassemble des morceaux d’hommes et de femmes, des corps imparfaits cherchant l’aboutissement, des vieux avec un cœur d’enfant, des têtes chercheuses avec des sentiments, des visages devenant le sourire, des âmes rattachées à une mère, des bras avec des mains prêtes à éclore. Le temps ne prévoit pas le hasard des rencontres. J’écris avec des bouts, des ligaments, des nerfs, des bribes de phrase. Je tourne autour du sens comme un pneu déjanté. Je creuse l’or du temps avec les mots des pauvres. J’ai parfois l’impression d’avoir des mains dans la tête à la place des neurones, des mots à la place des doigts, des œufs d’images dans le nid des paupières. J’ai les yeux trop slowbine pour la vitesse du monde. Je ferme la télévision et mes yeux s’allument. Mes oreilles décollent.. C’est comme un satori. On n’ouvre pas les yeux à l’image voulue comme on ouvre une page numérotée d’avance. Toujours, un arbre, quelque part, fait prier ses oiseaux. Une cigale dit sa messe sous l’église des pierres. On entend le malheur faire craquer ses doigts et les os du bonheur se recouvrir de chair. Les ramasseurs de mots, les ramasseurs d’images, les ramasseurs d’épaves ramassent aussi les larmes.