Le blanc des pages

Publié le par la freniere

Le blanc des pages laisse la liberté aux mots. Ce sont les mots qui se musèlent entre eux. Il m’arrive en marchant de rencontrer l’espace ou de croiser le temps. Les routes se cherchent dans les pas. Les traces de pas sont des sémaphores. Un œuf sort tout chaud des plumes du sommeil. Ces derniers mots écrits sont happés par le vide. Je dois recommencer.  Ce n’est pas l’homme qui est victime de la vie, c’est l’homme qui en fait sa victime. Malgré ses avancées technologiques, la guerre a toujours fait régresser l’homme. J’appartiens aux vents, aux insectes, aux étoiles. J’appartiens moins à l’homme qu’il n’appartient au monde. J’aurai comme tombeau le vide entre les mots. La mémoire est une vieille maison qu’on ne peut plus habiter. On reste sur le seuil. Ce qu’on voit par la vitre a déjà été nous. On ne peut revenir mettre du feu dans l’âtre. Il continue de fumer sans réchauffer personne. J’en reviens toujours à l’enfance des mots. Le vent est un chemin sans désespoir. La lumière s’y accroche à des atomes de poussière. Être nulle part  ailleurs, c’est être chez soi partout. La langue seule nous procure une demeure.

 

Ceux qui érigent des statues sont condamnés à ramper sous leur socle. Ce que l’homme construit finit par le trahir. On tombe toujours de loin quand on tombe du lit. On habille le monde dans la mauvaise étoffe. On tricote un pays avec du fil barbelé. Je voudrais croire encore au vol des oiseaux, au goût des pommes rouges, au ruisseau dans les herbes, au brillant des châtaignes,  aux frémissements du feu, aux moustaches des chats, au lait sage des mères. Je sais, on n’attrape pas le bonheur, mais on reste à ses trousses. Le silence n’est pas vide. Il est plein de ce qui reste à dire. Il arrive qu’en secouant un homme, il en tombe des larmes. Il rêve de l’eau pure les deux pieds dans la boue. À force d’ouvrir les yeux, la nuit devient clarté, l’ombre se fait lumière, l’homme finit par voir. Quelques consonnes sales lui indiquent le chemin. Quelques voyelles maigres suffisent à sa faim. Il lui suffit d’écrire le mot arbre pour que les feuilles poussent, la sève monte, le vent touche l’écorce. Là où s’achève le corps autre chose commence. Il n’y aura plus de mots mais un corps de paroles.

 

Un vide taché de traces de doigt n’est plus vide. Ma vie est poésie, tout le reste est futile. Pourquoi chercher le feu où l’eau seule convient ? Est-ce que le bonheur et le malheur peuvent exister sans l’autre ? Je vis désemparé, hébété, empêtré dans la pâte. On ne se tient pas quitte de s’inventer un but, une route, un refuge. Il faut aller plus loin que le dernier des pas, que le dernier repas, que la portée du geste. J’écoute la montagne. Je compte les jours me séparant des feuilles. Je veux toucher du doigt ce que l’on ne voit pas. J’écris des poèmes pour un loup, des mots pour continuer, des phrases pour danser. La vie se cache derrière les choses. Il faut la débusquer. Je pisse en regardant le ciel. Je prie lorsque je marche. Il ne suffit pas de voir clair dans la confusion ou de tout voir en noir, il faut prendre soin du monde, de la mouche à l’étoile, ne jamais oublier que la culture des patates a précédé celle des idées. Il n’y a pas culture véritable sans nature. Le droit des personnes implique aussi le droit des plantes. La mort n’appartient pas au présent. Il faut vivre dans la vie. Depuis la base obscure de la terre l’esprit est un compost. L’avant est toujours préférable à l’après comme l’espace au temps. J’ai les yeux remplis d’eau quand je regarde la rivière, la bouche pleine de vent, les bras comme des branches. Quelque chose au fond de l’air prépare sa naissance. Tous les brins d’herbe, le maïs en jupe verte, les pierres de ruisseau, les cerfs bondissants avec leur queue droite, les ratons laveurs ouvrant les portes avec leurs doigts de bébé, le fou rire des merles, la patience millimétrique du lichen, le sang traversant les veines, la musique façonnant les oreilles, la sève dans la tige, l’apparition des étoiles et les bestioles nues appartiennent au même univers.

 

La pédale au plancher ou les pieds sur le pouf, le pouvoir d’achat ne sera jamais la liberté. L’argent n’a pas de sens. Ce qu’on voit  n’est pas ce qui existe. Trop d’écrans en cachent les ordures. C’est d’argent sale qu’il s’agit. Quand il n’y a qu’une chaise, tout le monde veut s’asseoir. Les autoroutes sont un raccourci vers la tombe. Des guerres se poursuivent. Des enfants meurent de faim. Des hommes naissent avec des dettes dans les poches. Des bêtes avalent leur propre sang. Des peuples souffrent sans raison. Des phrases analphabètes s’accrochent aux dictionnaires. On est rarement à la hauteur de son âme. On rétrécit dans le corset des heures. Le jour se lève pour nous réduire aux choses. C’est ailleurs qu’il nous faut regarder. On ne rend pas justice par des lois. On ne brise pas l’état avec des gants roses. On n’étouffe pas le bâillon en oubliant le train des mots à la gare du silence. Nous héritons de l’infini sans même le savoir. Lorsque je quitte mon clavier, je retrouve l’usage de mes mains en arrosant les fleurs. Mon crayon est un deuxième sens, une autre main, une autre jambe. Écrire, c’est être moi. Je réfléchis avec mes gestes. Je mange avec mes mots. J’avance dans mes phrases. Chaque arbre m’enracine. Chaque oiseau me soulève. Les fruits sont des cadeaux que nous laissent les arbres. Il me faut un jardin pour ne pas étouffer et chanter ma chanson avec le vent qui joue de l’instrument des arbres. La pluie avance comme un chat plus rapide que ses pattes. La terre me va comme un soulier avec ses routes en lacets. Le sentier de campagne est une poche qu’on retourne. J’apprends la vie comme on apprend l’écoute dans le regarde d’un sourd.

 

La poésie témoigne de ce qu’on ne voit pas. Les années me tendent leur fauteuil, mais je refuse de m’asseoir. Mes tripes se souviennent de mes rêves d’antan, de mes gestes d’avant, de mes courses d’enfant. Il faut lever le cœur très haut, ne porter que son rêve. L’humanité fait peur, même de l’intérieur. La nature apprivoise celui qui la respecte. Je cours parmi les papillons. Je rôde autour du mot amour. Je brode avec de l’encre une flèche dans un cœur, deux prénoms sur un arbre. Je vis encore au temps des bohémiens enlaçant les sorcières, celui des Indiens stoppant les chevaux de fer. Je dessine à la craie le sourire du soleil envahissant les grottes. Je cherche l’équilibre dans la matière du monde, la paix entre les éléments, l’oxygène se créant par l’union des contraires. La vie se communique l’un par l’autre. Qu’importe que le passé se promène en présent ou bien que le futur ait des habits d’hier, chaque seconde contient le temps. Le destin est une chose trop rare. Il ne faut pas s’y fier. Merci disent mes yeux quand je croise une bête. Merci disent mes mains quand je cueille une fraise. Ouille disent mes cuisses quand elles touchent aux épines. Au large disent mes bras quand ils rament en cadence. Le rire des enfants soulève l’horizon.

Publié dans Prose

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