Le bruit qui m'entoure

Publié le par la freniere

Le bruit qui m’entoure n’est qu’un mauvais silence empoisonné par l’homme. On s’apprête à bétonner une partie du lac, à mordre dans la plage, à faire peur aux poissons. Une grande main mécanique vient d’arracher un arbre. Ses gros doigts de métal déchirent l’air et l’eau. C’est un peu comme si j’étais l’enfant dont on détruit le carré de sable pour en faire un parking. Je laisse aller ma main sur le grain de la page. Mes mots sont trop petits devant ce mastodonte. Ils se cassent comme des flèches en carton. Ma voix se perd dans les bruits du moteur, l’odeur de l’encre dans celle du gasoil. Un oiseau passe en vitesse recopiant mes phrases sur la page du ciel. Les poissons médusés ont regagné le fond. Il y a des jours où l’âme hésite à emprunter nos corps. Elle se réfugie dans les arbres, les insectes, l’entêtement des plantes, la peau des anges, les touffes de laine accrochées aux barrières, les capuches des fleurs, la mousse d’un vieux mur. Elle se fait rêve et sève. Elle se perd dans un regard d’enfant. Le vent s’essuie les mains sur les nuages. Le balai jaune d’un pissenlit époussette les ombres.

        

 Il se peut qu’un nom de fleur ravive le jardin, qu’une métaphore réveille l’âme, qu’une image de soif ravive une source. Il n’y a pas la mort d’un côté, la vie de l’autre, mais la page de l’amour où le langage les marie. À la vanité d’un nom propre, je préfère les sales mots de la vie, les petits mots d’amour, l’âme de Spinoza à tous ses exégètes. Il n’y a pas l’espoir d’en finir, le désespoir de durer, mais la volonté d’aimer. L’horizon recule devant le voyageur trop pressé d’arriver. L’hiver attend les fruits sans provoquer les choses. La moitié de mon ombre accueille le soleil avec des yeux d’enfant. Un quatuor d’eau, de terre, de feu et d’air accorde l’arc-en-ciel. Une boite à silence se transforme en sonate. L’échelle où je m’accroche n’a ni sommet ni base. Tous ses barreaux se perdent. Je vis en équilibre entre l’encre et la page. Écrire est une route où les pas sont des mots.

 

On écrit toujours avec la main qui manque, les mots perdus, la mémoire trouée. C’est dans le vide que se pose le plein. C’est dans l’infime que l’infini commence. Le cerceau des mots vacille. Je dois sans cesse le retenir du bout de mon crayon, courir derrière lui sans reprendre mon souffle, saisir une phrase par les ouïes, choisir une épine parmi les fleurs d’églantier. Un brin d’herbe pousse sans posséder la terre. Les petits fruits se donnent à la faim des oiseaux. Les fleurs s’abandonnent à la promesse des abeilles. Puisque la vie courante néglige l’essentiel, je ne cherche pas de maison. Peu importe où je suis, j’habite dans la lumière de ceux que j’aime. La vie et la mort sont les deux roues d’une même charrette. Le silence et le langage ne font qu’un. En eux reposent tous les mondes invisibles. Ce qui n’est pas, il faudra bien qu’il vienne. J’habite l’ouragan, l’orage, l’étincelle tout autant l’avalanche, l’éclair, l’oasis. J’habite dans l’éther, l’azur, l’océan, les fleurs, les parfums, les coraux, les levées du soleil. Ma cave est dans la taupe, mon grenier dans l’oiseau. Mon sol est dans la terre. Mon toit est au zénith. Mes mots fouillent l’espace et creusent leurs racines. Dans mes rapports avec la fleur, je ne me donne pas pour propriétaire. Nous sommes locataires d’un même espace vital. Frère de la nature, j’ai fait un pacte avec la neige. Dans la pinède au bord du lac, je m’enveloppe de présence parmi le chant des ouaouarons et le brame des chevreux. Facile ou difficile, l’amour ne déçoit que ceux qui n’aiment pas. Chaque fleur qui éclot, chaque étoile qui brille me prêche l’utopie.

Publié dans Prose

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