Le Kouaque
MERCREDI LE 4 FÉVRIER 2015
OBJECTIF DE LA CAMPAGNE DE FINANCEMENT: 150 000 $
OBJECTIF ATTEINT HIER À 23 H 59: 147 473. 81 $
NE MANQUE PLUS QUE............. 2, 527.00 $ !
Oyez, oyez, chères vouses et chers vous!
Comment vous faire assavoir tout le plaisir que j'ai, que j'ai! Sinon, par une autre histoire - remontée à ma mémoire tandis qu'hier soir, évaché sur mon vieux fauteuil, dans la pénombre qu'il faisait dans mon salon à cause que ne l'éclairaient que deux lampes à l'huile, quatre de mes chats couchés sur mes cuisses, mes genoux et mes pieds, tout ronronnants se faisaient-ils, tandis que j'écoutais ce qu'on appelle les œuvres inachevées de Beethoven - ça va parfois au pas d'un mini-cheval, parfois ça trotte élégamment comme le faisait Secrétariat quand le montait le jockey québécois Ron Turcotte au derby du Kentuky - qu'il remporta d'ailleurs par pas moins de 29 longueurs sur son plus proche poursuivant.
Quand j'écoute Beethoven, je ne sais pas pourquoi apparaissent tous ces chevaux dans mes rêves... sauf hier soir alors que le Kouaque les a tous fait fuir. Faut que je dise que le Kouaque que j'ai connu vers la fin de mon enfance aurait fait partir à l'épouvante même la jument de la Nuit tellement il nous épeurait tous, nous les enfants.
Imaginez une sorte de grand calâbre, avec juste ce qu'il faut de peau dessus la corpulance pour pas que les os saillent de babord comme de tribord. Un visage à l'avenant, fafouin, chafouin, rabouin... et deux yeux de grenouille qu'on n'osait pas regarder par peur qu'ils sortent de leurs orbites pour se jeter sur nous! Pas ragoûtant, le Kouaque, je vous en passe et repasse ma lettre à la poste... et d'autant moins que sa voix aurait pu être celle d'une soprano tellement elle se faisait haut perchée. C'est d'ailleurs ce qui lui avait valu son surbroquet de Kouaque. Les femmes qui ont participé à la Deuxième Grande Guerre se faisaient souvent appeler ainsi, ne me demandez pas pourquoi pare que je serais bien embêté de vous répondre, sinon par une sornette digne de Jos Violon.
Ce qu'il importe de savoir, c'est que l'ampoule qui allumait le cerveau du Kouaque n'avait rien d'une cent watts, frostée ou pas. Dans le temps, on appelait ça souffrir d'arriérage. L'un des plaisirs du Kouaque était de se cacher en quelque part, pas loin où c'est qu'on devait passer, pour apparaître soudainement devant nous et se faire aller l'alouette - cette voix de soprano haut perchée et ces gros yeux de grenouille qui suffisaient à nous faire fuir comme si on avait eu le Braillard de Gros-Morne devant nous! Les petites filles avaient peut-être raison d'en être épeurées plus que nous, les garçons, car il était porté vers elles. Mes parents ne laissaient jamais ma grande sœur sortir toute seule, ce qu'elle se serait bien gardé de faire de toute façon... car elle en pissait dans sa culotte toutes les fois que le Kouaque faisait le Christ ressuscité et redescendait sur terre, spécialiste de l'atterrissage, non pas approximatif, mais de proximité, si vous voyez ce que je veux dire.
Avant que mon père ne tombe gravement malade, j'entrepris en sa compagnie cette voyagerie dans le Bas Saint-Laurent dont les Trois-PIstoles sont l'une des bourgades. Un soir que mon père célébrait avec ses vieux chums retrouvés, le Kouaque se fit le Christ ressuscité pour une ultime fois. C'est grâce à cette ultime apparition-là que j'en appris davantage sur lui. Il pouvait bien avoir passé son temps à essayer de nous faire peur quand nous étions enfants en joueur de tours sans génie. Mon père et ses chums, eux autres, ils en avaient du génie. Suivez-moi jusqu'au paragraphe suivant: vous allez comprendre pourquoi.
En ce temps que le Christ ne pensait pas encore à sa résurrection, il y avait aux Trois-Pistoles une manière de petite épicerie-tabagie, "Chez Charlot", où c'est que les jeunesses allaient se faire aller le jarnicoton. Le Kouaque faisait partie du nombre. Pas pour s'esbaudir avec la compagnie... mais parce qu'il avait le kick précisément sur les bouteilles de Kik-Cola qui encombraient le comptoir de "Chez Charlot". Boire de ce breuvage était pour lui une véritable obsession et il était prêt à tout pour qu'on lui fasse cadeau d'une grosse bouteille de ce qui était pour ses babines et ses "pupilles dégustatives" le nectar d'entre toutes les liqueurs.
En ce temps-là, il y avait dans toutes les épiceries-tabagies au moins un régime de bananes plus ou moins mûres suspendu au plafond. L'une des jeunesses disait au Kouaque: "Si tu manges vingt de ces bananes-là l'une par derrière l'autre, on te paye une grosse et pleine bouteille de Kik-Cola!" Le Kouaque ne demandait pas mieux, s'assoyant sur le comptoir et avalant safrement ces bananes qu'on épluchait pour lui. Il ne savait pas compter, ben sûr... et enfournait banane après banane, ses gros yeux de grenouille fixés sur les bouteilles de Kik-Cola.
"Il en mangeait tellement, m'a dit mon père, qu'à un moment donné, il faisait le gros ventre comme une femme enceinte et entrait pour dans l'ainsi dire en contractions. Nous autres, on avait peur que son ventrage finisse par se fendre du haut jusqu'en bas de la côte à Zéphirin et, pour pas que ça arrive, on couchait le Kouaque dessus le comptoir, pis on le sanglait avec de l'attirail chevalin qui sentait la bourrure de collier à pleins naseaux. Je vas te dire qu'une chose, mon vinyienne de Bouscotte: tant que le Kouaque faisait coma, on se tenait pour sûr les grelots ben serrés dans notre entre-deux-jambes! On voulait surtout pas voir la grande face blême du curaillon de la paroisse apparaître dans la porte en scringne de "Chez Charlot", portant la crosse et la boîte du saint-viatique. C'était donc pour nous délivrance quand le Kouaque remontait de l'enfer des Mortalités, se redressait en hurlant de sa voix fêlée: - "Zattendez que mon poupla zarrrive! Zattendez, que je vous... " Le Kouaque avait jamais le temps de terrminer sa tirade: les babines lui retroussaient dans le brusquement à plein pis toute le mauvaiseté bananière qu'y avait dans le corpuscule sortait de dedans ça comme d'un torrent. Pas beau à voir pis pas beau à sentir, mille fois et une fois pire que la puanteur d'une bourrure de collier! Après s'être vidangé, le Kouaque tendait le bras vers les grosses bouteilles de Kik Cola: "J'ai soiffe, saintcibolaque! Je veux mon Kik-Kik! Je le mérite, saintsimoniaque!"
Le Kouaque buvait ainsi une première grosse bouteille de Kik-Cola, puis une deuxième, puis une troisième puis une autre encore. Comme il pissait son Kik-Cola à mesure qu'il l'envalait, il pouvait tenir le coup jusqu'aux petites heures du matin où là, je vous l'ai dit, il se transformait en mâtin, retrouvant du même coup ses gros quenoeils de grenouille, sa babinerie épaisse et sa voix de soprano haut perchée - juste ce qu'il lui fallait pour se remettre à nous épeurer,nous les enfants, en Christ ressuscité... même quand ça tombait comme des clous dessus les Pistolètes et les Pistolets.
Voilà. Mon histoire finit d'en par là... ce qui n'est pas encore tout à fait le cas de la campagne de financement. Le 14 février s'en vient vite en queue de poêlonne! Tout en buvant ce verre de Kik-Cola que je vous offre de bonne heure et de bon cœur, profitez-en pour cliquer sur editionstrois-pistoles.com - même si nous vivons dans une démocratie bananière, on peut tout de même trouver profit à s'y amuser un peu, ne serait-ce que de la babinerie et de l'alouette!
Victor-Lévy Beaulieu