Le songe

Publié le par la freniere

À quoi rêve t-il ?
- Des gorges nues ? des syllabes fertiles ?
- La chanson du bonheur ? La peau d'une femme parfumée, parfois, très légèrement salée. Vestige des temps où nous habitions les eaux profondes.
- Peut-être à de grands ciels ouverts…
- J'ai eu une vie, autrefois.

2011-5539.jpg

- A t-il reçu une invitation ?
- Un vertige subsiste. Il rêve sans doute de plongées sous-marines.
- Brasser l'eau claire et fraîche sous un soleil de plomb. En voilà une sensation. Je le sais bien. Rêve de splendeurs minérales ? Sais-tu à quel point le soleil éclaire étrangement les fonds sous-marins ? La lumière n'est pas jaune comme à la surface. Elle n'est pas bleue non plus. Pas un bleu pur. En fait, c'est un bleu de cobalt.
- Peut-être ne rêve t-il plus ?
- On dit que les gens malheureux rêvent plus que les autres. En contrepartie leurs rêves sont plus mous. Étalonnés.
- Qui t'a dit qu'il était malheureux ? Ça te rassure, toi ? Ça t'en donne des illusions de bonheur, toi, de savoir que l'autre en-bas, il est triste avec sa vie dépareillée ?
- Blasés de la féerie.
- Une dépression se disperse passablement par le rêve. Toute fée est insolente.
- Je l'imagine mal en dépression. Je ne sais pas pourquoi. Il me semble que la dépression va avec un certain degré de possession et de confort.
- Il n'est pas dupe. Quoi ? Moi tout d'un coup ? Prince acharné ? La différence est trop flagrante. La main sur les blés dorés ?
- Les prisonniers aussi ont conscience de rêver. C'est d'être trop cloisonné. Rien n'émeut, dès lors. Ils s'assoient sur l'herbe. Regarde, la belle étoile scintillante ! La magie ! Des clous. La baguette magique à la con.
- Il rêve qu'il est un grand homme d'affaire. Des piles de dossiers sur le bureau. Un trophée en or blanc, 1er prix du tournoi de hockey sur gazon, 1988. Gagné avec les copains. Il formait une bonne équipe.
- Quel héritage laissé ? Un peu de cendre et de sueur.
- Comme nous. Pas plus, pas moins.
- Qui, à l'enterrement ? Des passants du hasard. Des corbeaux. Quelques copains qui n'ont pas oublié. Ceux d'aujourd'hui. Pas ceux d'hier. Fraternité profonde de la misère.
- Je ne suis pas oublié. Mais en sursis. Lui, il a passé le cap.
- Tout ça va t-il bientôt finir, que je puisse reprendre une goutte ?
- Comme l'existence est bien ferme. Ferme comme le lit.
- Il n'a pas de lit. La terre tout entière est un lit sur lequel on peut s'effondrer. Lui aussi, tremble à l'idée de mourir.
- Silhouette inhabitée ?
- On a un prénom, oui. C'est important. Humain. Mais pas de nom de famille. Ça c'est oublié. Ça marche plus. Dans le foutoir avec le reste.
- Je le vois.
- Quoi ?
- Un grand oiseau. Bleu de cobalt.

 

François Leturcq

Publié dans Poésie du monde

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article