Léopoldo Maria Panero

Publié le par la freniere

 

"Leopoldo María Panero, fils naturel de l'Espagne et de la poésie (de l'Espagne la pire et de la poésie la plus irréductible) est encore un de ces immenses poètes dont ses contemporains ne veulent pas, parce qu'il a choisi de se faire le miroir de leur infamie, et parce que la vision qui s'y révèle, au fond de ce miroir, est sans fond, donc insoutenable. Dernier né, en 1948, d'une lignée de poètes tous plus ou moins corrompus ou mauvais, Leopoldo María Panero doit faire avec les restes. On a déjà, avant lui,  pendant l'odieux festin, mâché et remâché les mots de sa langue, et comme il n'en avait pas d'autres, il ne lui restait plus qu'à les cracher, pour en faire son poème. Et c'est avec les restes noirs d'une langue usée, abusée jusqu'au déshonneur, qu'il aura sécrété ce poème impossible. Leopoldo María Panero, fils d'un "père ivrogne" aux amitiés franquistes, doit encore faire avec les restes. Les restes de l'Espagne, les restes du monde. Les restes de l'homme. Et vivre avec ce qu'on lui a laissé - de la vie. Il a connu la lutte libertaire, la clandestinité, la prison, l'alcool et l'héroïne, la dépression et le suicide. Bref, la vie moderne... des dépossédés. Puis il se retire. Ou plutôt, on le retire. Au début des années 1980, sa famille, dont il s'est fait la métaphore atroce et la peau retournée, le fait interner en hôpital psychiatrique. Peut-être dans l'idée de le neutraliser ? - le cas echéant, c'est raté."

C. Demangeot, extrait de la préface
de "Bonne nouvelle du désastre".

 

Territoire de la peur/Territorio del miedo  Editions L’Oreille du Loup, 2011

Bonne nouvelle du désastre & autres poèmes (1982-2004)traduit de l’espagnol par Victor Martinez & Cédric Demangeot, Éditions Fissiles,

  • Así se Fundo Carnaby Street (C'est ainsi que Carnaby Street a été fondé) (Ocnos, 1970). Dans ce livre de poésie, la mélancolie de ses mythes de l'enfance va parallèle avec un expérimentalisme passionné.
  • Teoría (Théorie) (Lumen, 1973).
  • Narciso en el último Acorde de las flautas (Narcissus dans le dernier accord de flûtes) (Visor, 1979).
  • Dernier fleuve Ensemble (Ayuso, 1980).
  • Dioscuros (Ayuso, 1982).
  • El último hombre (Le dernier homme) (Ediciones Libertarias, 1984).
  • Poesía 1970-1985 (Visor, 1986).
  • Contra España y otros poema de ne Amor (contre l'Espagne et d'autres poèmes de non-amour) (Ediciones Libertarias, 1990).
  • Agujero Llamado Nevermore (trou appelé Nevermore) (sélection poétique, 1968-1992) (Cátedra, 1992).
  • Poemas del Manicomio de Mondragón (Poèmes de l'hôpital psychiatrique de Mondragón) (Hiperión, 1999).
  • Supplice en la cruz de la boca (Torture dans la croix de la bouche) (El Gato Gris, Ediciones de Poesía, 2000).
  • Teoría del miedo (Théorie de la peur) (Igitur, 2000).
  • Poesía Completa (Poésie complète) (1970-2000) (Visor, 2001).
  • Aguila contra el hombre: poemas para un suicidamiento (Eagle contre l'homme: des poèmes pour un suicide) (Valdemar, 2001).
  • Esquizofrénicas o La balada de la lámpara azul (schizophrènes ou la ballade de la lampe bleue) (Hiperión, 2004).
  • Danza de la muerte (Dance of death) (Igitur, 2004).

Son travail narratif comprend:

  • En lugar del hijo (Tusquets, 1976), fantastiques histoires courtes compilation.
  • Dos relatos y una perversión (Deux histoires courtes et une perversion) (Ediciones Libertarias, 1984).
  • Palabras de un asesino (Paroles d'un meurtrier), (Ediciones Libertarias, 1999).
  • Règle inutilisable Los Heroes (Les héros inutiles), (épistolaire avec le jeune écrivain Diego Medrano ), (Ellago Ediciones, 2005)

Il a également cultivé la forme d'un essai:

  • Mi cérébro es una rosa (mon cerveau est une rose), (Roger, 1998).
  • Prueba de vida. Autobiografia de la muerte (preuve de vie, l'autobiographie de la mort), (Huerga y Fierro, 2002).

 

 

 

 

Je suis un nid de cendre

où viennent les oiseaux

pour chercher la manne de l’ombre

la flèche clouée dans le poème

le baiser de l’insecte.

 

*

PROJET D’UN BAISER


Je te tuerai demain quand la lune sortira
et que le premier grèbe me dira son mot
je te tuerai demain peu avant l’aube
quand tu seras au lit, perdue dans tes rêves
et ce sera comme une copulation ou du sperme sur les lèvres
comme un baiser ou une étreinte, comme une action de grâce
je te tuerai demain quand la lune sortira
et que le premier grèbe me dira son mot
et dans son bec m’apportera l’ordre de ta mort
qui sera comme un baiser ou une action de grâce
ou comme une prière pour que le jour ne se lève pas
je te tuerai demain quand la lune sortira
et qu’aboiera le troisième chien à la neuvième heure
au dixième arbre sans feuilles ni sève
dont personne ne sait pourquoi il se tient debout sur la terre
je te tuerai demain quand la treizième feuille
tombera sur le sol de misère
et tu seras une feuille ou une grive pâle
qui revient dans le secret lointain du soir
je te tuerai demain, et tu demanderas pardon
pour cette chair obscène, pour ce sexe obscur
qui aura pour phallus l’éclat de ce fer
qui aura pour baiser le sépulcre, l’oubli
je te tuerai demain quand la lune sortira
et tu verras comme tu es belle une fois morte
toute couverte de fleurs, les bras en croix
et les lèvres closes comme lorsque tu priais
ou m’implorais la parole encore une fois
je te tuerai demain quand la lune sortira,
et ainsi dans ce ciel qu’évoquent les légendes
dès demain tu t’inquièteras de moi et mon salut
je te tuerai demain quand la lune sortira
quand tu verras un ange armé d’une dague
nu et silencieux devant ton lit blême
je te tuerai demain et tu verras que tu éjacules
quand ce froid passera entre tes deux jambes
je te tuerai demain quand la lune sortira
je te tuerai demain et j’aimerai ton fantôme
et je courrai jusqu’à ta tombe les nuits où de nouveau
brûleront dans ce phallus tremblant que j’ai
les rêves du sexe, les mystères du sperme
et ainsi ta stèle sera pour moi le premier lit
où rêver des dieux, des arbres, des mères
où jouer aussi avec les dés de la nuit
je te tuerai demain quand la lune sortira
et que le premier grèbe me dira son mot.

 

*

 

 

DÉSIR D’ÊTRE PEAU ROUGE

La plaine infinie et le ciel son reflet.
Désir d’être peau rouge.
Aux villes sans air arrive parfois sans bruit
le hennissement d’un onagre ou le trot d’un bison.
Désir d’être peau rouge.
Sitting Bull est mort : aucun tambour
n’annonce son arrivée dans les Grandes Prairies.
Désir
d’être peau rouge.
Le cheval de fer traverse maintenant sans peur
des déserts brûlants de silence.
Désir d’être peau rouge.
Sitting Bull est mort et aucun tambour
afin de le faire revenir du royaume des ombres.
Désir d’être peau rouge.
Un dernier cavalier a traversé la plaine
infinie, laissant derrière lui une vaine
traînée de poussière, que le vent dissipe.
Désir d’être peau rouge.
Dans la Réserve ne niche pas
un serpent à sonnette, mais l’abandon.
DÉSIR D’ÊTRE PEAU ROUGE.
(Sitting Bull est mort, les tambours
le crient sans attendre de réponse.)

 

*

 

Qui sait ce qu’a voulu faire Chatterton
avec son suicide : quelle promesse
à une femme ou quelle blessure au vent.
Il n’a pas brisé la réalité, il n’a pas enfoncé le couteau
dans la chair cruelle de ce qui vit.
Aujourd’hui sans lui, sans son suicide, puisque pire est la vie
qui mouille les cadavres avec des larmes de fange.
Qui sait ce qu’a voulu Chatterton avec son suicide,
dire quel mot, quel cri à personne
quel signe qui ne serait pas déblayé par le balai
anonyme du temps.
Qui sait ce qu’il nous a dit, quel espoir il avait,
et si malgré tout nous pouvons encore
grâce à lui, dans les jours pluvieux
quand la solitude menace et guettent
dans l’ombre les souvenirs,
avoir confiance dans le mystère de la mort.

Léopoldo Maria Panero

Traduit par Stéphane Chaumet

Publié dans Les marcheurs de rêve

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