Les cris des animaux

Publié le par la freniere

Il est bien évident que l’œuf a précédé la poule. Les cris des animaux ont précédés la parole des hommes. D’ailleurs quiconque assiste à un match de foot ou de hockey se rend compte que les hommes en reviennent vite aux borborygmes des gibbons. Même chez ceux qui veulent rester seuls, il y a toujours un Robinson dans l’âme aménageant la table pour un autre. Il faut écrire à la limite de deux mondes : du dehors au dedans, du dedans au dehors.  Il n’y a pas que les massacres, les famines, la pollution, les crimes, une gifle à l’école peut briser une vie, hypothéquer le bonheur. Quand on s’attaque à l’innocence, le monde court à sa perte. Même déchiquetés, roués de coups, éclaboussés de haine, il faut s’aimer encore. Avec leurs veines ouvertes en guise de prière, trop de suicidés tachent les draps de l’espoir. Même s’il m’arrive de mentir, mes mots restent aussi vrais que la mort. Quand la révolte s’écrase devant tous les écrans, que puis-je sinon serrer les dents. La poitrine brûlée par la toux rauque des machines, ma vie balance entre la rage et la tendresse. Il m’arrive de pleurer dans mon chant du terroir comme une fleur des champs. Je suis resté l’oiseau dont on rogne les ailes, l’enfant chétif poussant devant la mort un galet de marelle. À contre cri, à contre-jour, au plus noir du noir, au plus creux, au plus vide, d’une bouillie de syllabes, d’un magma de voyelles, j’articule « maman ».

 

         La pègre des vendeurs dévalise les mots pour en faire des valets et l’homme fait le singe pour une pièce de monnaie. Trop de regards se noient dans un miroir aux alouettes. Des apaches en cuirette ont des yeux de morphine, jouent à la roulette russe et au théâtre d’ombres. Ils mangent du pétrole, un doigt sur la gâchette. Derrière des brumes d’apparence, des Christ à cran d’arrêt fomentent la révolte. Pour survivre et rester libres, les loups ont pris l’effrayante maigreur des os. On écrase la vie sous des kilos d’absurde et des tonnes de bêtises. Il faut tenir coûte que coûte la promesse des plantes, le mouvement des sèves, l’alphabet des pollens, le chant des cailloux maigres, ne pas dilapider la vie dans le strass et le toc, le stress et l’abondance. Il faut s’accrocher à la terre plus fort que les racines du mal, les grappins du malheur. Avec l’oreille coupée de Van Gogh, j’enrobe les couleurs dans un mouchoir de poche. Je ne veux plus dormir sur un lit de couteaux, une rumeur de rat entre les omoplates. Je veux la clef des champs ouvrant tous les cadenas, le chant du rossignol déjouant les serrures, la poignée de porte qui s’offre comme une main.

 

         Je ne suis pas de Sartre, mais plutôt de Camus. Je chante les oiseaux qui tracent une route entre Che Guevara et Saint-François d’Assises, Sainte Thérèse d’Avila et Rosa Luxembourg. Entre les prolétaires de huit ans et les vieillards au front de cicatrices, je suis le chien perdu qu’on repousse du pied. Je mords sans remords à l’os maigre du rêve. N’ayant plus rien à boire, je lape sans vergogne des seaux de larmes et d’ombres. Mon crayon à la main comme une lampe au front, je creuse dans la nuit des tunnels sans fin. J’ai peur de moi quand je promène le chien de ma révolte sans la laisse du cœur. J’aurai été longtemps cet ivrogne titubant dans les rues de la ville. Je ne sais plus qui je suis avec mes larmes à boire en guise de remords, ma calvitie de sage caressant les vieux chats. Je cherche la lumière au fond des ventres éteints. Je n’ai plus le temps de mentir, mais je triture les mots avec des ongles tachés d’encre. Je m’ennuie de ma mère que je n’ai pas pleurée, l’a croyant immortelle.

 

         Chaque cargaison de morts fait bander les banquiers, chaque affamé, chaque malade, chaque endetté, chaque homme mis en laisse par une carte de crédit. Dans les pays en guerre pour Allah ou le pétrole, pour la dope ou l’argent, oubliez la toilette des morts. On les enterre au bulldozer. Une couche de cendres leur sert de cercueil. Le vin tourne au vinaigre dans la bouteille du cœur. Le maïs sert d’avoine au cheval-vapeur. On fauche les forêts pour élever des big mac. Les courtiers font main basse et laissent en pourboire la monnaie des blessures, les cicatrices de pauvres, les sous noirs de la faim. Au nom du capital, des mercenaires prennent la pose dans une poussière d’enfants. Les mots n’en peuvent plus d’enfouir des cadavres. Ils voudraient chanter comme les oiseaux de l’aube remerciant le soleil.

 

Publié dans Prose

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