Les moutons de Panurge

Publié le par la freniere

Les moutons de Panurge empestent l’autoroute comme les sardines dans le port de Marseille, les petits pois sans cosse, les barbares sans cause, les thons en boite et les maquereaux de Pigalle. Un homme devant l’usine fermée, ce n’est pas un malheur, mais une chance de vivre. À vingt ans ni à cent, on ne doit pas vendre sa peau, porter le rêve des patrons, la valise des banquiers, des barons du pétrole, des promoteurs de guerres. Tous les Ubu d’écran cachent un couteau rouillé sous leur sourire trop blanc. De quelle couleur seront les fleurs après la mode fluo ? Restera-t-il du blanc pour le temps du muguet ? L’isoloir est une illusion de la démocratie, un ersatz d’espoir. La vérité des hommes, on lui tranche la gorge quand celle de chacun avance à pas de bête ses phrases d’abattoir. Les bêtes perdent le nord sans instinct de survie. Les abeilles s’égarent dans les fleurs en plastique. Même à Valparaiso, les étés sont pourris et les bananes se meurent. Les heures tournent en rond aux horloges pointeuses. Dans leurs jeux d’Indiens et de Cowboys, les enfants deviennent leurs propres flèches qui percent les ballons ou s’écrasent sur un mur. Sous deux couches de botox, les larmes s’étrécissent et le sourire se fige. Les aviculteurs se pendent aux poulaillers parmi leurs poules de luxe. Les éleveurs de porc se laissent émasculer par la bourse des viandes. Les professeurs s’habillent en CRS pour éviter les balles et les couteaux de poche. Les canifs ne servent plus de crayon sur le bois des pupitres, mais transpercent la peau de ceux qui se refusent à l’intimidation. Dans la guerre des villes, on ne prend plus le temps de trier les cadavres, mais on leur fait les poches. Les balles des snipers quadrillent l’horizon. D’un mur à l’autre, on joue à la marelle sur un damier sanglant. La stridence des sirènes n’arrive pas à faire taire le bruit mou des corps qui éclatent, des poitrines qui saignent, des jambes amputées. L’usine à faire les morts ne fait jamais la grève. Pendant ce temps sur les écrans, Blanche Neige fait des fix et des pipes aux Chevaliers de l’Apocalypse. Cendrillon vend son corps pour un soulier de bal.

 

Hé Dieu ! Où es-tu ? Il apparaît dans un habit de Père Noël. Les grelots des lutins font un bruit de tiroir-caisse. Que font ces panaches au devant du traîneau ? En hiver, les rennes ne portent pas de bois. Je me perds sur face book, entre les photos de chat, les annonces de chars, le charabia du web, les coups de gueule des vieilles baba cool, les recettes de bombes, l’abc des catastrophes et les miroirs déformants des fausses identités. Les combats de coqs ont remplacé le dialogue des caresses. La terre vue de loin n’est plus qu’une grosse boule de disco dans la brume des dancings, les paillettes et le strass. Trop de choses inutiles encombrent le regard. On perd l’important d’un clic de poubelle. Je préfère mourir d’un caillou sur la tempe que d’un rayon laser. Le verbe mourir est difficile à conjuguer. Même les linguistes y perdent leur langue. Je veux aller jusqu’au bout du poème, faire péter les écrans, les écrous, les boulons, arracher le bâillon, trouver ma voie dans la géographie inquiète du monde. Il y eu un temps où les horloges n’avaient qu’une seule aiguille. Chaque seconde s’ouvrait sur le tout au lieu de compter les heures. C’est le drapeau de la vie qu’il faut laisser flotter. Une main d’enfant pourra-t-elle désarmer l’homme de guerre, un simple papillon détourner les avions, un mot faire le ménage dans la chambre des communes, une brouette porter toute la douleur du monde ? Il m’arrive d’y croire quand le soleil se lève au milieu d’un orage. Je laisse toujours un banc devant la porte, une éponge pour les larmes, du pain pour les oiseaux. Ce sera comme une page attendant son crayon, un blanc pour le passage des saisons, un vent qui fait craquer ses doigts, une musique pour les sourds, une assiettée de pas pour les routes affamées. J’aurai tout mis dans l’écriture sans trouver le mot juste. Il reste l’indicible à la pointe du verbe. Je persiste et je signe au bas du paysage d’une écriture de ronces.

Publié dans Prose

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