Les pruniers sont en fleurs

Publié le par la freniere

 

Ça y est ! Les pruniers sont en fleurs. Les cerisiers sont blancs. Les pommiers se préparent à mettre leurs atours. Ça sourit de partout dans les vergers sauvages. Même le chant des oiseaux a repris des couleurs. Le cri rauque des corneilles est tacheté de roux. Des arcs-en-ciel s’allument dans les yeux des hiboux. Quelques bourgeons traînards se hâtent vers la feuille. Les érables encore jeunes retroussent leurs orteils. Le ciel joue de la cuisse sous la jupe d’un nuage. Le soleil cligne de l’œil en regardant la terre. Sous la poussière du rang, quelques cailloux scintillent. On dirait des bonbons enrobés de pollen. J’aime les vaches du voisin qui ressemblent à des yacks. Elles doivent parler celtique puisqu’elles viennent d’Irlande. Je leur lirai demain Dylan Thomas dans le texte. Avec Ulysse de Joyce, j’en aurais pour l’été. J’aime aussi les sillons qui ne sont pas d’équerre, les collines râpées comme la poutine des Iles. Je prends le bord du bois pour me régénérer et j’indique aux chevreuils les chasseurs à l’affût. Ils soulèvent leur queue pour me dire merci. Quand ils sautent un ruisseau, leur touffe de poils blancs me fait comme un sourire. Ça rit partout dans le bois sous les chatouilles du vent. Un nid de guêpes s’affole dans un trou de verdure. Un sang vif de lumière émerge des taillis. Seules les vieilles épinettes ont gardé leur sérieux. Un souffle indivisible anime les brins d’herbe. Je respire avec eux le poivre vert des menthes. Je retrouve en forêt la tendresse d’une mère. Je renais à la vie dans la dentelle des fougères, le chant fragile des herbes. C’est comme du Mozart composé par le vent, le soleil, la pluie.

        

Près de l’érablière, les jeunes sauvageons exhibent leurs biceps tatoués de bourgeons. Penché sur une pierre ou les premières fleurs, un ange de soleil vient boire la rosée. Les plantes viennent de loin, de plus loin encore que le passage des saisons, du fond des âges et de la terre. Ce sont les petites choses qui font tenir le monde. Le béton est fragile à côté d’un brin d’herbe. Je songe à Guillevic en regardant la pierre, à sa tranquille certitude, à ses dolmens de mots, à son Carnac d’encre, à la Bretagne des insectes. Je suis plus près du monde quand je touche l’argile, quand je froisse une feuille, quand j’écris sur le sol avec une brindille. Je traverse les choses avec un mot trouvé au détour d’un sentier. Le chant du monde se trame de la sève à la feuille, de la source à la mer, du regard à l’étoile. Je libère d’un mot la vessie de la terre. À l’écoute des gnomes, je respire dans les troncs une gorgée de rêve. L’ivresse du paysage efface le nihilisme du présent. Que serait le monde sans les couleurs du ciel, de la terre, des eaux, de tout ce qui l’entoure et habille son âme ? Quand j’écris à l’air libre, le suc de la terre irrigue mes poèmes. Un carré d’herbe verte, un amas de cailloux, me ramènent à l’enfance, au douanier Rousseau et au facteur Cheval. L’histoire des plantes est plus vieille que l’histoire des hommes. Écoutant les brins d’herbe, j’entends le cœur du monde. Je n’écris pas ces mots à la lueur d’un ordinateur, je les dicte en marchant comme un escargot transportant sa maison sur le dos, une vieille tortue revenant de voyage. J’ai la tête au printemps sous la résille des fleurs. Il n’y a plus de temps, rien qu’une vaste odeur.


Publié dans Prose

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