Notre choix
Somptueuse, bordée de gel, brûlée de froid, sèche et blanche, la Ste Victoire dresse son serpent calcaire sur les terres provençales. Bornée du cuir nu des labours, un front de nuages penché sur sa nuque, elle veille. Beauté paisible, puissance sereine, elle magnifie le quotidien. Ici dans la campagne pauvre, la saison froide garde la vie dans sa parure lente. Je regarde, je reçois, je participe au miracle du vivant, et plus triste qu'un ciel qui s'ébroue, je pense aux marionnettes qui dansent sur le vide. Tant ne savent voir, respirer une rose mais s'extasient sur des diaporamas derrière des écrans. Tant s'agitent et creusent le déficit du vivre et du mourir. Tant cherchent ailleurs la clé sur leur porte. Je pense au silence de neige, à tous les silences emplis de voix aimantes et justes, les voix des origines. J'écoute ce que les oreilles n'entendent plus : le chant vivant de l'univers, son souffle haut, profond, qui lave et régénère. Ce cadeau permanent de l'instant. L'instant, seul lieu, seul état, où pensées et actions sont possibles. L'instant ou nous recevons et créons l'entièreté de nous-même et du monde, sa beauté, sa laideur, notre choix. La somme des instants trace notre place, notre participation au présent du monde, son devenir. Somptueuse, bordée de gel, brûlée de froid, sèche et blanche, la montagne existe.
Ile Eniger