Par le trou du souffleur

Publié le par la freniere

 

 L’automne sur son deux roues de spleen a donné son dernier coup de pédale. La vie a des nausées comme un vieux lavabo. Si la nuit est trop longue, je ferai le soleil. Si sa bouche est muette, je serai la chanson. Je grappille partout des images toute simples, une verrue sur l’écorce d’un arbre, une manche trop courte, une roche en colère. Il y a des livres que je relis cent fois, des larmes que j’essuie sans savoir d’où elles viennent, des phrases que j’essaie de rendre jusqu’au bout. Caché dans le silence, je guette les paroles, le rouge des cerises, la blancheur des anges, la peur des vivants, un instant de lumière affalée sur les toits.  Du bout de mon stylo, j’éveille le Petit Poucet, la fée Carabosse, les enfants sauvages au pied des arbres nus, les fantômes et les gnomes. Les premiers morts qu’on rejoint font partie de la vie. Qu’en sera-t-il des autres ? J’écoute chanter le vent sans comprendre les mots. La mémoire jette des sorts par le trou du souffleur. Redevenu sauvage, un pommier penche vers l’étang comme un moine copiste. Il ne tient plus registre des vers dans la pomme.

La neige donne aux choses des rondeurs de madame. Les arbres aux cheveux blancs se déguisent en rêveurs. Le lac s’ennuage comme un ciel inversé juste avant que la glace n’apaise les orages. Les érables lyriques sont devenus pensifs. L’ascétisme des branches a fait fuir les oiseaux. L’hôtel des sapins accueille les mésanges, les geais bleus, les corneilles. Qu’importe  l’exil des outardes et le silence des canards, le ciel des racines est celui qu’elles mangent. Sous les amas de glace, l’œuvre au noir continue. Il y aura de l’or tout au bout de l’hiver, des calices de fleurs, des cornues végétales. Le pommier rêve déjà d’une première feuille, d’une première pomme, d’une joue qu’on effleure jusqu’à la faire rougir. J’écoute les fantômes traverser la bourrasque. Le blanc démesuré fait taire les insectes. Les mots d’hiver ont des habits de laine feutrant l’air des vivants. Je recueille à la main l’eau blanche des nuages pour en faire des phrases.

Sous l’écorce givrée, les arbres sont peuplés de courants invisibles. Le moindre souffle épouse les formes de la terre. À défaut de soleil, les buveurs se réchauffent avec un vin de glace. À défaut de cigales, je chanterai tout l’hiver pour l’amour des flocons et des bonhommes de glace. Plantés droit dans la neige, quelques pêcheurs de mots font des trous dans l’aphasie du lac. À quinze sous zéro, les mots sont assourdis mais la buée les rend visibles. Ils peignent dans le vide sur les parois de l’air. Portageant l’indicible, je chausse mes raquettes au bord de la lumière. Entre le sel des pleurs et le miel des risettes, l’enfant cherche sa voix. Plus tard, beaucoup plus tard, viendront les phrases en dur et en relief, les mots issus de la tripe, les voyelles du cœur. Les yeux chargés de pluie, le cœur s’évade d’un corps prisonnier  pour voir le soleil. Les moments les plus lourds s’envolent rapidement. Ce sont les moments de liberté qui restent. Ils voyagent avec nous. Le vent du nord caresse les fenêtres aux longs cils sous le chapeau des toits. Ému d’être là, ma tête bouge encore sur la tige du cou tout un bouquet de prose. Je n’écris pas avec des lettres mais la chair des images sous la pelure des mots. Au milieu de l’orchestre, l’oreille est un capteur de rêves. Entre les miettes et la poussière, la lumière brille encore. Le temps se recroqueville avant l’éternité.

 


Publié dans Prose

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