Par respect de la vie

Publié le par la freniere

 

Il y a plus de trois ans qu’un vieil héron tout déplumé vient chaparder mes truites. Drôle de monsieur personne, avec sa patte levée, il ressemble aux roseaux qui croissent sur la rive. Quand il s’envole, le ventre plein, on dirait une roche qui essaierait des ailes. Assis sur la galerie, en buvant mon café, les mots remontent de mes tripes et me rapprochent de lui. C’est à peine si nous savons ce que nous sommes. Il y a toujours en nous un étranger qui guette comme la roche sous les arbres, une braise mal éteinte éclairant les coins sombres, un grain infime d’infini. Il faut les protéger des manigances du fric. Avez-vous vu les landaus dernier cri ? Les bébés d’aujourd’hui se promènent en cercueil en attendant l’école, le salaire, la prison du commerce où, le fer de l’hameçon bien enfoncé dans le cœur, ils iront travailler pour enrichir le vide. Ils feront comme le veulent les pêcheurs de profit. Poissons craintifs par peur de manquer d’eau, ils s’acharneront à polluer la source. Bras et jambes d’une machine, geôliers d’eux-mêmes dans leurs loisirs programmés, ils naissent prisonniers. L’homme s’est coincé les doigts dans les rouages du profit. Quand la première pensée est celle de l’argent et la mort un commerce, vaut-il la peine de vivre ? Il faut refaire l’espérance, brin d’herbe par brin d’herbe, insecte par insecte, caresse par caresse. Il ne faut pas aider les banques mais détruire l’argent par respect de la vie. Il ne faut plus compter les heures comme on compte ses sous. Il faut conter fleurette aux roses du jardin, embrasser les épines et caresser les loups.

 

Faisant foin du présent, il faut que nos enfants soient fidèles au futur et réparent la terre que nous avons blessée. Quand l’homme meurt aujourd’hui, c’est juste une machine qui tombe en panne. Il faut des mains de robot pour étouffer la vie, des cœurs de guerriers pour embraser l’atome. Nous sommes allés trop loin dans l’orgueil et l’envie, le trésor et la gloire. Il faut des mains de chair pour pétrir le pain, le flux vital de l’âme pour embrasser le monde. Je ne serai jamais ce bonhomme en voiture qui empeste l’argent ni la jeune fille à ses côtés ouvrant les jambes comme une fente à monnaie. Je préfère être seul et sentir les arbres, le cosmos, les fleurs, philosopher tranquille avec un vieux corbeau. Je veux regarder l’homme dans les yeux sans craindre le couteau, rejoindre l’énergie qui anime la vie. Ils peuvent tout me prendre, qu’ils me laissent l’amour. Il n’y a que l’amour. Tout le reste s’épuise comme des jouets à piles. Il faut tuer l’argent, le réduire à néant. Il pourrit le cerveau, le sang, les os. Il oblitère l’âme. Nous rampons devant lui pour en payer le prix. On ne fait plus qu’acheter et vendre. Il y a longtemps que je trahis la banque, la machine, le travail. Je n’attends pas d’un coq qu’il ponde des oeufs d’or. Je suis ce que je suis de par le soleil. Être vivant, c’est plus que le passe-temps d’un prisonnier. La seule raison de vivre, c’est de vivre. Il est impossible d’être pleinement vivant écrasé par la peur, la peur des fins de mois et de manquer d’argent. Le monde est en attente de générosité.


Publié dans Prose

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