Paroles indiennes

Publié le par la freniere

Dresseur de chevaux Mohawk

Sa selle à présent : un réservoir d’oxygène, ses rênes : les tubulures

lui passant au travers de la poitrine et autour du cou.
Mon papa m’a perché sur mon premier cheval quand j’avais six ans,
me dit Phillipe. Sa voix s’élève comme anticipant
le galop enchevêtré de sabots qu’il entendrait
venir depuis une vallée en Idaho.
Pour retrouver ses souvenirs
son regard glisse de moi
vers le plafond.
Comment les dressez-vous ? Demandé-je.
Philippe rit. Il faut juste rester dessus.
Quand j’avais neuf ans je dressais des chevaux
avec des hommes qui en avaient vingt.
Puis ses yeux s’assombrissent—
des étoiles couvertes par une bande de nuages orageux—
alors que Philippe quitte ce passé
et s’en revient là où il est allongé maintenant. Il laisse échapper un soupir,
le même soupir épuisé
que les Pintos devaient pousser
sous son poids osseux.
A présent je souris devant ses bottes en peau de lézard
qui dépassent en dessous du lit d’hôpital,
indiquant, bien qu’handicapé, sa volonté indomptée.
Sûr que j’aime les chevaux, déclare-t-il,
et il ferme les yeux afin de rejoindre
le monde qu’il connaissait avant.

 

Traverse du lac Eufaula

autoroute 695 près de Krebs, Oklahoma.


Au moment où je pense ne plus pouvoir supporter
les plaines à perte de vue, nous traversons le lac Eufaula,
des hectares et des hectares d’eau
jusqu’à l’horizon.

Il y a des mobil homes entourées de pins et des bateaux attachés à des pontons privés.
Je dis  je voudrais vivre ici un jour.
L’ambiance devient crépusculaire, et le soleil fait la dernière démonstration de son pouvoir
-- blanc et saignant.

Tu ne réponds pas tout de suite, alors j’attends. Puis tes paroles
se déploient telles les ailes d’un origami.

Personne n’a avoué qu’ils le savaient, mais ce lac fut construit sur des buttes funéraires
des populations Indiennes du bassin du Mississipi, à moins que ce ne soit des Hopewells,
à ta place je ne ferais pas cela, dis-tu.

Il y a une cabane en bois et une Volvo rouge sur l’allée de graviers.
Aucun signe de la famille.
Deux pêcheurs assis sur les piles du pont attendent les perches.

Je n’emporterais rien qui vienne d’ici non plus, ajoutes-tu.
Laisse tout ici, c’est à ce lieu que cela appartient.
Tu ne voudrais pas prendre quelque chose comme ça avec toi.

Le soleil luit orangé à présent
il commence à couler
sous la lame du lac Eufaula    
son eau contient notre silence comme la pluie.

 

Marianne A Broyles

Traduction : Béatrice Machet

 

Marianne A Broyles est membre de la nation Cherokee d’Oklahoma, donc une descendante des Cherokee déportés dans les années 1830, épisode que l’on a appelé la piste des larmes.

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