Paroles indiennes
Dan George était chef des Capilanos, nation de la Colombie Britannique au Canada. Vous connaissez son visage par le film Little Big Man où il joue le rôle du père adoptif de Dustin Hoffman. Cette lettre a été lue lors d'un congrès consacré au développement de l'Arctique et à l'avenir des sociétés inuit en 1975.
Je suis né il y a mille ans, né dans une culture d'arcs et de flèches ; et dans l'espace d'une demi-vie humaine, je me suis trouvé dans la culture de l'âge atomique...
Je suis né à une époque où les gens aimaient toute la nature et lui parlaient comme si elle avait une âme.
Je me souviens qu'étant jeune, je remontais l'Indian River avec mon père. Je me le rappelle admirant le soleil qui se levait sur le mont Pé-Né-Né; il lui chantait sa reconnaissance, comme il le faisait souvent, avec le mot indien "merci" et beaucoup de douceur.
Et puis, du monde est venu; de plus en plus de monde, comme une vague déferlante, et je me suis soudain trouvé au milieu du 20e siècle. Je me suis trouvé moi-même et mon peuple flottant à la dérive dans cette nouvelle ère ; nous n'en faisions pas partie, engloutis par sa marée saisissante, comme les captifs tournant en rond dans de petites réserves, dans des lopins de terre, honteux de notre culture que vous tourniez en ridicule, incertains de notre personnalité et de ce vers quoi nous allions.
Nous n'avons pas eu le temps de nous ajuster à la croissance brutale qui nous entourait ; il semble que nous ayons perdu ce que nous avions, sans que cela soit remplacé.
Savez-vous ce que c'est que d'être sans pays? savez-vous ce que c'est que de vivre dans un cadre laid? Cela déprime l'homme, car l'homme doit être entouré de beauté dans laquelle son âme doit grandir. Savez-vous ce que c'est de sentir sa race écrasée et d'être acculé à prendre conscience qu'on est un fardeau pour ce pays? Peut-être n'étions-nous pas assez malins pour apporter une participation pleine de signification, mais personne n'avait la patience d'attendre que nous puissions suivre. Nous avons été mis à l'écart parce que nous restions sans réagir et incapables d'apprendre.
A quoi cela ressemble-t-il de n'avoir aucun orgueil de sa propre race, de sa famille, aucun amour-propre, aucune confiance en soi?
Et maintenant, vous me tendez la main... et maintenant, vous me demandez d'aller à vous. "Viens et intègre-toi!" c'est ce que vous dites. Mais comment venir? Je suis nu et couvert de honte. Comment venir avec dignité? Je n'ai pas de présence, je n'ai rien à donner. Qu'appréciez-vous dans ma culture -mon pauvre trésor? Vous ne faites que le mépriser. Vais-je venir à vous comme un mendiant et tout recevoir de votre main toute-puissante?
Quoi que je fasse, je dois attendre, me trouver moi-même, attendre que vous ayez besoin d'un quelque chose qui est moi.
Votre aumône, je peux vivre sans elle, mais ma condition humaine, je ne saurais vivre sans elle. Peut-on parler d'intégration avant qu'il y ait intégration sociale, celle des coeurs et celle des esprits?
Ce que nous voulons? Nous voulons avant tout être respectés et sentir que notre peuple a sa valeur, avoir les mêmes possibilités de réussir dans l'existence.
Que personne ne l'oublie : notre peuple a des droits garantis par des promesses et des traités. Nous ne les avons pas demandés et nous ne vous disons pas merci. Car, grand Dieu, le prix que nous les avons payés était exorbitant : c'était notre culture, notre dignité et le respect de nous-mêmes.
Je sais que dans votre coeur, vous voudriez bien m'aider. Eh bien! oui. Chaque fois que vous rencontrerez mes enfants, respectez-les pour ce qu'ils sont : des enfants, des frères.
Dan Georges