Pierre-Autin Grenier est décédé ce matin

Publié le par la freniere

Lettre ouverte à Pierre Autin Grenier

 

Cher monsieur Autin-Grenier, je vous écris de mon bain, en ce dimanche de pluie. J'ai dis à ma douce que j'étais disponible si elle avait envie de gentiment me caresser le sexe dans l'eau chaude mais je crois qu'elle a prévu d'autres façons d'embellir le monde, je pense donc que nous serons tranquilles pour discuter. Cher monsieur Autin-Grenier, je ne vous écris pas du Montana mais je sais qu'un japonais neurasthénique rêve du Far West provençal de la même manière que nous projetons nos fantasmes sur les collines, les fleuves et les baies des Rocheuses où naquirent nombres de poètes et de crotales. Je vais donc considérer que mon bain est une sorte de Montana japonais et qu'ainsi l'honneur du rêve est sauf. Cher monsieur Autin Grenier, ne vous rabrouez point, je ne suis pas un courtisan, je suis un fantassin électrique, un collectionneur de poussière, un arrière-goût, un pousse-mégot, une impression. Cher monsieur Autin-Grenier, ce monde n'est pas le mien et ça vous fait une belle jambe. Pourtant j'écris, je fume sur la terrasse en matant les mésanges, je dors, je rêve, j'aime et je suis même sur le point de me reproduire ce qui prouve que nous ne sommes pas à une contradiction près et que la chute vaut bien la façon dont nous nous rattrapons aux branches. Cher monsieur Autin-Grenier, vous faites partie de mes sauveurs familiers au même titre qu'Elliott Smith, Al Green, Miles Davis, Richard Brautigan, le vieux Buk, Issa, Rick Bass, Nina Simone ou Bob Marley. Cher Monsieur Autin Grenier, Luke-la-main-froide est mort et johnny boy s'est fait avoir ,Vendredi est dans de sales draps, Tsi-na-pa est devenu marshal, Ardisson passe pour un rebelle et Bizot est oublié, le poil d'éléphant se porte aux poignées, les contre-cultures ont une durée de vie de sans-papiers et les syndicats ne sont plus représentatifs. Cher monsieur Autin Grenier, tous les matins en allant pourrir au bureau, je croise deux dromadaires dans un champ au bord de la nationale et je me dis que tant qu'ils se moquent de nous, tout n'est pas perdu. Cher monsieur Autin Grenier, nous ne croyons en rien et nous aimons trop, lorsqu'il y aura un gros pépin nous ne ferons pas long feu. Cher monsieur Autin-Grenier, vous faites partie de ceux qui m'ont donné envie d'écrire, donc de voir, donc d'apprendre, donc d'en rire, donc de vivre. Cher monsieur Autin-Grenier, je vis en dessous du seuil de pauvreté, j'ai passé trois fois mon bac et six fois mon permis, je pourrais tomber accro d'une bouteille d'eau, j'habite avec un chien peureux et une femme douce et fragile, je finis rarement les livres que je commence et je suis le roi des fautes d'orthographe. Cher monsieur Autin Grenier, j'aime Erri de Luca, Terrence Malik, Patrick Dewaere et Magik Malik, Manu Larcenet, Shuggy Otis, Into The Wild, Bonnie Prince Billy et Lou Reed. Je n'ai rien contre la fuite à condition d'exister. Cher monsieur Autin-Grenier, certains voient dans vos livres des histoires d'anarchistes, d'autres d'andouillettes et de vin blanc, moi j'ai l'impression que vous parlez de chiens mourants, de fantômes encordés, de diamants dans les flaques des rues, d'aigles royaux qui attaquent le ciel. La littérature est notre charbon merveilleux. Cher monsieur Autin-Grenier, je voulais vous remercier de persister avec la grâce d'une coccinelle dans un plat d'huîtres ...

 

Thomas Vinau

 

 

 

 

Voix

 

C'est une bouche cachée dans le noir de la nuit qui parle bas et invite, par-delà les rêves incertains, à la révolte. Une voix de velours violet frémissant dans les plis du vent, semblable à celles de ces statues qu'on recouvrait jadis d'un voile le mercredi des Cendres et dont les forces mystérieuses nous fascinaient jusqu'au vertige. Avant de quitter le sommeil pour les prémices de l'aube, embrasse passionnément cette bouche; et cette voix, qu'elle vibre en ton coeur de plaisir et de défi tout le long du jour si tu tiens à gagner la paix du soir sans avoir mis genou en terre.

Tu n'auras plus rien à redouter ainsi, ni le joug humiliant des possédants ni l'entrave de leurs lois à ta liberté; le tourment des heures impossibles à vivre aura beau lâcher contre toi tous ses chiens, la meute n'atteindra ta conscience ni n'ébranlera ta volonté. Tu pourras aller debout dans le tohu-bohu du monde sans abdiquer rien de tes espérances, le clavecin des oiseaux dans les arbres accompagnera tes pas et le chemin sera tout entier tracé par le granit du pavé.

Mais cette bouche qui murmure dans le noir, es-tu prêt à l'écouter? Cette voix violette de colère contre les mille complots de l'ordre, es-tu vraiment décidé à l'entendre ?

 

Espérance

 

Même en plein hiver, toujours il parlait une hirondelle dans la bouche. Il enfourchait un vieux vélo sans freins et dévalait les pentes verglacées à tombeau ouvert. Parvenu sans encombre sur la place du village, son panier d'osier au bras, il se mettait alors à chanter. Souvent c'était la Troisième Chanson golde de Naïsso Baldakchan, parce que lui-même venait d'au-delà les limites connues de notre contrée sans qu'on puisse cependant dire de quel endroit précisément.

 

Des femmes silencieuses, toujours parmi les plus pauvres, déléguaient de jeunes enfants pour aller déposer dans son panier qui un oeuf, qui une tranche de polenta, un pied de cochon ou alors une morceau de pain bis; parfois aussi deux-trois piécettes de nickel pour l'achat d'un brin de tabac.

 

Malgré l'hostilité déclarée des autorités et la réprobation constante des bien-pensants, la coutume s'était peu à peu établie de soutenir ainsi celui dont les chansons, et les paroles qu'il prononçait à la suite de leurs refrains, redonnaient si fort l'espérance de se débarrasser un jour de la domination des marchands et retrouver peut-être le temps de l'antique fraternité.

 

Pierre Autin-Grenier

 

 


 

 

Publié dans Les marcheurs de rêve

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<br /> Je t'embrasse mon Jean Marc !<br />