Pierre Saunier: L'Enseigne perdue
les mots que je ne leur dis jamais
finissent toujours par ressortir
d’une façon ou d’une autre -
il suffit de quelques bières et d’autant
de confiance,
et sur le clavier
ma main maigre
pianote un paysage improvisé –
devant la page blanche toute la blessure
de ma parole s’ouvre,
cicatrise jusqu’à sa propre paix –
sur le monde agité à l’intérieur du petit globe
la fausse neige tombe,
quand le poème fonctionne –
j’écris en plein cœur d’une tempête minuscule,
et à pleine puissance le monde réduit
déborde de la page et s’identifie
au vaste monde gueulant dehors –
agiter, bien l’agiter,
avant de le servir
pour le meilleur et pour le pire,
sans quoi le monde entier ne parlera pas sans quoi
les mots ne ressortiront pas –
la neige je l’appelle – la neige tombe
sur leurs nez gelés reniflant
de grosses larmes qui se mêlent à la bière,
et l’écho d’un rire animal
traverse les rues de la ville –
ils se demandent qui et puis
se laissent aller –
chairs de rêve réchauffées par un rêve
comme autant de flocons
tombant sur les toits,
contre les lucarnes des greniers où ça boit.
*
Tu ris de mes légendes cassées, de mes jouets de bois
De ma religion d’enfant et de mes poèmes irréalistes
Tu ris tu dis « tout ça pour ne pas vivre »
J’écris un peu avant toute chose
Il faut creuser des tunnels dans les mots
Attends un peu veux-tu
Parce que nous sommes les taupes de la nouvelle ère
Et qu’il y a tant de mots vieux comme la nuit
Que nous n’avons pas encore découverts
Pierre Saunier
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