Rien de rien

Publié le par la freniere

 

Qui piétine les fleurs dans les jardins où personne ne marche ? Une pensée parfois me frôle les cheveux et dépeigne la phrase. Il y a toujours quelque chose de plus grand qui nous porte. Je veux des mots où tout reste debout, une parole sans voile, un silence nettoyé par la pluie, un vide entre les chaises et le monde où se faufile un ange. Il y a du sang partout que je voudrais laver. Il y a des mains trop pleines qui écrasent les pauvres, trop de caresses mortes dans la saleté du monde. À regarder l’abîme du haut d’une montagne, j’en ai gardé le vide en moi. Je dois lester de mots ma marche sur un fil. Le cœur perdu entre mes dents, j’essaie de retrouver mon souffle. Un peu d’amour dans une main réchauffe l’autre paume. Je veux des mots pour relever les bouches qui tombent, pour alléger les morts qui pèsent sur la langue, pour rapailler les coins qu’on ne peut pas plier. Dans la distance nue, je fais des phrases avec mes pas. Je voudrais aller là où la saveur croise la sève, où le nuage embrasse l’eau, où les extrêmes se touchent, où la parole devient chair.

Je ne perds rien de rien. Je touche à tout du bout des mots. Le fruit s’exprime dans la bouche. Sa saveur est une phrase que les papilles goûtent. De mon passé à Maupassant, la vie se conte des histoires qu’elle s’oblige à croire. Sous la chair fermée du silence, il y a des mots qui restent seuls et se cherchent du sens, des gestes neutres oubliés dans un bras, une voix rauque où je n’accède pas. Il y a dans les regards aveugles un autre œil qui voit, l’idée d’une caresse dans les bras amputés, la survivance d’un amour dans les souliers des morts. Il y a dans chaque cellule la première copie de l’homme, le brouillon de sa voix émergeant du brouillard, la mémoire d’un frisson dans une goutte de pluie, l’idée d’un arbre dans une feuille, celle du linge dans la nudité. Quand une chose arrête, une autre chose commence, souvent plus vieille qu’elle. La route que l’on suit nous attache au voyage. Le chemin qu’on ignore ne nous rattache à rien. Le langage de l’eau est l’eau, celui de l’arbre est l’arbre, celui de l’homme se faufile partout. Il vient un temps où le dehors n’est plus que l’envers du décor, une porte dessinée sur un mur, une fenêtre peinte sur le néant du monde. Il vaut mieux le peu qu’on aime au presque tout impossible à aimer.

Je ne perds rien de rien. Mon ignorance m’apprend l’humilité du cœur. J’avance les mains vides d’avoir tout donné. Peu importe le départ, peu importe l’arrivée, il faut chanter en chemin. Le néant dans une main, une fleur dans l’autre, je ne cherche pas l’équilibre mais un peu de bonté. Écrire le monde, c’est un peu le toucher, en atteindre le cœur. L’eau n’est jamais égale à notre soif ni l’espoir à la vie. Un os n’oublie jamais sa chair ni un arbre ses fruits mais il arrive à l’homme d’oublier la bonté. L’homme n’est pas la vie mais il en fait partie. Ses mots sont de petits leviers soulevant des montagnes, de tous petits souliers sur la route cosmique. Je cherche un point d’appui sur la matière du monde. Quand la réalité s’égoutte, le rêve coule à flots. Le corps se distille mais l’âme s’agrandit. Quand le poète dort, ses mots veillent encore. Le souvenir de la vie est encore une vie mais si peu ont accès à la mémoire des morts. Quand je tombe en rêvant, il m’arrive de voler. Une anti-mort d’oiseau me ramène à la source. Quand je rêve d’un jardin, je m’éveille toujours une fleur à la main. Quand je rêve à ma blonde, je ne rêve pas, je vis, pareil à la rivière qui rencontre un soleil. L’amour nous mène au-delà de l’amour, là où cessent les limites, où l’espérance corrige les erreurs du temps, où l’arc-en-ciel colore la ligne d’horizon.


Publié dans Prose

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