Samothrace
Je te regarde
Nikê tês Samothrákês
Victoire de Samothrace toi
qui domines le grand escalier du Louvre
toi que visite le monde entier
– loin de tes marbres d'origine
blanc de Paros
gris veiné de Lartos de Rhodes.
Je te regarde et je vois en toi
toute la Grèce d'aujourd'hui :
tête coupée
aile coupée
proue de navire coupée
– et ceinture sous les seins serrée
dans ton étoffe de pierre
aux nobles plis rongés d'usure.
Tout en toi est métaphore Tu es
La
Métaphore
de la Grèce aujourd'hui
– à la victoire volée
à la grandeur violée
au petit peuple martyrisé par de faux Ulysse.
Une fois encore tu récapitules
l'Histoire
comme Hérodote l'inventa
comme ton Peuple osa
– mettre Prométhée à la proue
du navire de l'humanité
pour que chaque voix d'homme compte.
Je te regarde et rien
ne retient ton manteau de marbre
ta robe chitôn
ton himation draperie
non rien ne retient ta digne liberté
– que le vent des faux dieux
agité par l'éventail
des cartes bancaires.
Et moi qui essaie
ô Nikê tês Samothrákês
d'être chrétien
je n'oublie pas que l'Évangile
fut d'abord écrit en ta langue
– oui ta langue de marbre fier
et humble dont seul Dieu efface
les noms d'orgueils inaccomplis.
ô Nikê tês Samothrákês
ils t'ont rogné l'aile une seule
comme à une pintade d'élevage
ils t'ont coupé le col
ils t'ont coupé la proue
– mais ils n'ont pas réussi les salauds
à te la couper
la Parole !
Parle oh parle Grèce !
Enseigne-nous encore
à nouveau
comme autrefois
comme au début
– que la démocratie
est une victoire et que sans elle
les hommes ne peuvent pas voler.
Roland Nadaus