Sous la coquille

Publié le par la freniere


Les arbres jasent avec les planches autour de la maison, de tout, de rien, de nœuds de bois et de verdure ancienne, du départ des oiseaux et des insectes morts. Empêtrés dans les fils et les appels d’urgence, les poteaux de téléphone écoutent sans comprendre. L’érable parle au pin la langue des racines, dans un patois d’humus ou un jargon de terre. L’or de la neige se fait lumière sur les piquets de clôture. Les geais bleus font leur nid à l’hôtel des cèdres et les petites mésanges agrandissent les vitres. Elles mangent dans ma main quand les graines sont rares. Les dégouttières reniflent une morve de givre. Gelée jusqu’à la lie, l’eau des barils reste sans rides, sans idées. Dans le grenier venteux, les clous qui craquent m’empêchent de dormir. Je fais un pont de mots sur le silence humain, une passerelle de rêves pour les fantômes indiens.

        

Les rafales frissonnent sur les hanches du toit et mon crayon tisonne les braises de la phrase. Je dois réinventer le geste des forêts et refaire une chair aux enfants de poussière. J’écris dans la pénombre à la lueur d’un Bic. Le poêle ronfle plus fort sans électricité. Un sang vivant remue dans le froid des blessures et ranime le cœur. Un fleuve de fatigue laisse flotter ses rêves. Dans le givre des vitres, ma buée dessine un arc-en-ciel de chaleur sur le cristal du froid. La neige tombe en larmes blanches que le mouchoir du vent éponge en vain. Entre les cordes de bois et celles des violons s’élève dans la nuit un concert sylvestre. J’entends entre les épinettes le Largo de Haendel, une sonate de Bach entre les murs disjoints. J’entends battre le sang dans le cœur des chevreuils et la lune répondre au chœur strident des loups.

       

Il vente à rendre l’âme et déplumer les anges. On dirait qu’un Bon Dieu se libère d’un jet dans l’urinoir du monde. Il vente à fendre l’âme et l’écorce des arbres. Je rêve aux herbes folles, aux arbres infinis, aux gazouillis d’oiseaux, aux mille chambres d’ombre dans le palais des feuilles, aux fleurs endormies dans les vases de terre, au vent jaune des chaleurs qui caresse la pierre. La neige passe une robe trop lourde sur le corps des vieux arbres. J’entends des cris de sève quand ils craquent de froid. Pour réchauffer l’espoir, j’écris comme on tricote les mailles d’un chandail avec la laine de l’encre. À chaque pierre joindre le feu, à chaque pas joindre le bas, à chaque trou joindre la voix. Mot à mot, pétale par pétale, une fleur s’entête à pousser dans ma tête et son parfum réchauffe le givre des idées. Dans le vieux poêle à bois, un cri de sang s’élève d’un horizon de cendre. La glace a refermé la paupière des eaux mais le froid n’atteint pas la dormance des graines.

        

Le vent décoiffe la neige avec ses doigts de brute et va jusqu’à griffer les biceps des granges. Il fait si froid dehors. J’ai remis dans leur boîte les petits mots fragiles. J’ai mis des bottes à mes images, un feutre sur la page. Le poêle avec ses dents de fonte dévore les érables. Le rouge vient aux joues du thermomètre ancien. Je ne suis jamais seul dans le vent de la nuit. L’île aux oiseaux surgit sur la glace du fleuve et j’y pose mes pas dans le bonheur du sable. D’invisibles sillages traversent la tempête, une tendresse d’herbe dans le jardin glacé. Une ardente résine réchauffe les sapins. Dans l’amnios du rêve, mon cœur bat toujours derrière sa coquille. Dans les grondements du vent, j’écris à la lueur d’un Bic comme une corne de brume. Je lance des bouées, des balises, des amers dans une mer de neige, une musique d’oiseau parmi les œufs muets. Il n’y a pas un geste qui retienne la neige. Trop de blancheur s’efface et découvre le ciel. L’accalmie se prépare. Le soleil monte du sol comme une brume bleue. Ce qui vient sur la page a le pas plus léger. La vie s’éveille sous la neige et déjà rôdent les odeurs. Je recommence ma naissance. Le monde va s’ouvrir. Il suffit d’avancer. Un passage d’oiseaux annonce le beau temps.

 


Publié dans Prose

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