Terre de dénuement
parmi les schizophrènes
les paranoïaques
les névrosés
tous dépossédés d’eux-mêmes
noyés dans les remous de la souffrance
et tant d’autres encore dont je ne parlerai jamais
car les mots ne servent qu’à déprécier
et à jeter la confusion
jamais je n’oublierai ce que j’eus à subir
dans le déroulement implacable des traitements
quelques amis
parmi les plus proches de moi
ont choisi le suicide
comment d’écrire l’horreur
comment cerner le désespoir
qui règnent en ces lieux maudits
quant aux enfants
condamnés
déformés
ravagés
perdus
ils sont la plaie qui ne cessera jamais de saigner
rien ne pourra les sauver
et si le Christ s’égarait parmi eux
il pourrait refaire ses bagages sans dire un mot
et vous visiteurs d’un après-midi partez partez
remettez-vous à vos travaux sordides
à vos partouzes
à vos banquets
à vos carnavals
buvez et baisez
sans vous souciez de tous ceux qui crèvent
rongés par le désespoir et l’angoisse au fond des asiles
mais vous compagnons muets secoués par le délire
attendez-moi
je sais que nous nous reverrons un jour
au fond de l’ornière
nous n’aurons plus rien à nous dire
les mains crispées
nous nous regarderons un instant
et ce sera fini
un seul regard pour des années de silence
Francis Giauque