Tout n'est pas mort

Publié le par la freniere

T

out n’est pas mort mais il arrive que les choses n’y soient plus quand je les dis. Sous la neige qui fond quelques os de bois gris attirent les insectes. Des nuages pendouillent sur la ligne d’horizon, les caleçons du ciel, les derniers bas de laine, les chemises du vent. Les eaux du lac s’animent. Je me réveille comme un arbre dont la sève qui monte chatouille les aisselles. Toute une forêt gonfle un bourgeon. La pluie s’avance en titubant. Attendant de germer, mes pensées baignent dans une liqueur de neige. Je rêve d’herbe verte dévorant les trottoirs, de grands marins sonores brouillant les ondes courtes. Je vis dans la vallée où les montagnes s’écoutent mais le bruit des skidoos déflore l’ouïe du vent. Nouant le rêve au réel, je fais des élastiques avec les mots. J’étire des images d’un paragraphe à l’autre. Les veines ne finissent pas en nous mais courent dans la vie. Chaque mot est une goutte qui rejoint l’océan.

Goutte à goutte, le ciel tombe, chu de rien. Les enfants en imper ont l’air de gros    anges aux ailes de vinyle. Leur vie plante ses ongles dans le dos de la mort. Débarrassés du givre, les mots encore debout entrouvrent le printemps. La terre gonfle ses muscles sous sa chemise de poussière. Le soleil éternue sur le mouchoir du vent. Les outardes ravivent les champs morts de maïs. Leur plumage frissonne comme une dernière neige. Les routes se déroutent, se déroulent, se défendent contre les mastodontes. L’espoir titube et se relève entre les crocs-en-jambes. Le moignon des mots retrouve l’accolade entre les métaphores. Des héros s’entrecroisent dans un chapitre absent. Des anges font la noce dans un roman de gare. La cagoule de l’âge ne cache plus ses rides.

J’ai plus appris des livres que des claques sur la gueule, du chant des ouaouarons que du bruit des sirènes. C’est un poème de Giguère qui m’a ouvert la porte dans la maison des mots. Un autre de Hénault a arraché les gonds. Ce fut un vent rebelle contre les murs du sérieux, un feu de bivouac au milieu de l’hiver, un orage crevant les cicatrices du néant, une hanche étrangère dans le dortoir du monde, une langue nouvelle dans une bouche timide. Depuis je cherche les vieux mots dans la mémoire déficiente, l’allumette du silex dans le grimoire aux amulettes, la perle noire du fourbi. Je déploie l’horizon enfermé dans l’armoire.

La sève perle au bout de mon crayon suscitant la soif des images. Je n’écris pas sans bouger les mains, sans marcher, sans prier. Sur ma trompette mal embouchée,  j’essaie des sons nouveaux, le bruit du vent quand il tombe, le silence du lac quand la glace cale sans bouger, la succion de la sloche sous mes semelles boueuses, le chant des chalumeaux atermoyant la sève sur les érables à sucre, le vol des bernaches élargissant le ciel. Le sel des heures se dilue dans un magma de feuilles. Un dernier poing de neige s’enfonce dans le sol, les doigts déjà liquides. Les vieux arbres ronchon retrouvent le sourire. Un vent géant brasse le paysage, soulevant ses brindilles comme un Hercule de foire. Le feu renaît sous les paupières de la cendre. Des yeux de braise illuminent le lac. Échouant chaque nuit sur une page blanche, j’écris comme on parle à une fleur sans connaître son nom. J’aperçois ma première abeille, toujours la même idée derrière l’antenne. Que va-t-elle butiner ? Les fleurs poussent mal dans un massif d’hommes, entre les larmes et le vin rouge, le masque et le couteau, la peur et le factice. Assis sur les genoux de la terre, je questionne l’immense avec des yeux trop courts.

Les mouches noires reviennent dans un nuage d’avoine. Les arbres tombés durant l’hiver semblent porter en terre les vêtements des absents. Il suffit de secouer la tête pour que tout change de place. Chaque image roule sur la page comme un minou de poussière. Il y a longtemps que le présent a enterré le passé simple, que le futur ne tient pas ses promesses, que l’imparfait règne en mettre dans la conjugaison et l’échange des verbes. J’ai beau rester de glace, la paille brûle dans mes os. J’ai beau rester debout, mon ombre penche vers le sol. Le rêve s’accroche au moindre geste, le pollen aux mots doux. Perdus dans la caducité des vœux, sans espoir mais têtus, nous avançons de bout de ficelle en bout de ficelle jusqu’au chaînon manquant.

Publié dans Prose

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