Vide

Publié le par la freniere

Il fait nuit noire. Pas de lune, pas d'étoile, pas d'éclairage artificiel. Je fuis dans l'immobile. Encerclé par un paysage qui n'existe que parce qu'on a souhaité qu'il soit ici : ce pourrait être une plage, un pic de montagne, une vallée verdoyante arrosée par une rivière sinueuse, une froide désolation sur Mars. Ce n'est qu'un espace plat dénué de tout relief, de tout détail, vert comme pour tourner en dérision la véritable végétation. Rien qu'un décor n'offrant aucun endroit où se cacher.

Et pourtant je fuis. Je fuis sans marcher, sans courir. Assis. J'ai simplement fermé les yeux. Alors cet espace vert n'existera plus.

* * *

Que vais-je imaginer ? Dans quel monde vais-je m'immerger ? Quels replis de mon esprit vais-je dresser comme un rempart contre cette étendue verdâtre qui tente de m'envahir ?

Devant la myriade de possibilités, mon esprit hésite, pèse, soupèse. Fantasmes, fantaisies, fantasmagories... Rien ne semble convenir. Rien ne m'apparaît suffisamment solennel. Pas assez sérieux, trop étroit, indigne ; chaque idée me semble comporter un élément négatif qui porte atteinte à l'importance du moment, à la grandeur de la pensée qui devrait m'habiter. Cette forteresse spirituelle se doit d'être imprenable, incorruptible, sans faille.

Le vide. On ne peut le prendre ni le corrompre.

* * *

Je mobilise toute ma volonté et toute mon énergie pour faire ce vide dans mon esprit. Je pars à la chasse au moindre feu-follet qui oserait occuper les méandres les plus reculées de ma conscience. La lutte est âpre et longue mais je parviens tout de même à atteindre mon but.

Le désert a envahi mon cerveau.

* * *

Juste comme je réprime un sentiment de triomphe, un froid glacial et intense traverse mon corps, vrille mon esprit.

Surpris par cette brèche, j'ouvre un œil. Je suis entouré d'étoiles. Je peux voir la Terre sous mes pieds. Je flotte dans l'espace, au milieu du vide.

L'ennemi m'a battu à mon propre jeu. J'en rirais presque si je n'étais pas aussi attristé.

* * *

Les sanglots me tirent de mon sommeil. C'est le milieu de la nuit. Je me précipite à la fenêtre. Tout semble calme et normal : une légère brise agite les feuilles des arbres, la lune brille et les étoiles scintillent comme mille poignards, comme mille dents qu'un rire cruel découvrirait.

Mais un jour, moi l'étranger dans cette réalité créée sur mesure, je m'échapperai. Et alors ce sont les astres qui pleureront.

 

Patrick Packwood

Publié dans Poésie du monde

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