15 articles avec denis vanier
Entouré de ceux qui n'y sont pas
Entouré de ceux qui n'y sont pas
On guérit seul
on guérit pauvre de sa naissance,
mais surtout seul.
Je ne regrette pas l’isolement.
C’est une identité morale.
On ne meurt qu’entouré
de ceux qui n’y sont pas.
La solitude est toujours la faute des absents,
ceux qui n’ont pas de voix
pour murmurer au chevet de personne.
Même les jours sont seuls,
pleurant dans les ruelles de gazoline,
les matins de nuits blanches immaculées
qui ne tacheront pas les draps
ni plus tard les mouchoirs.
Des vautours sont cloués
aux portes épaisses
de celles qui pleurent le long des jambes
les larmes de race prisonnière,
en criant que même les enfants ont peur
des ténèbres de leurs ventres,
encore trop innocents pour savoir
que la mort est le contraire de la solitude.
Je le sais, qu’on est seul,
comme de ne pas bander au Paradis
avec les panthères de fudge,
enfermées avec personne
dans les armoires de la garderie.
Denis Vanier
Hôtel Putama, 1991
L'urine des forêts
Il me faut réintégrer ce réel que je fuis.
En ce sens, les objets me sauvent
de l’accalmie mentale,
voire d’un désespoir impitoyable.
Je regarde le miroir
orné d’étoiles phosphorescentes
depuis que nos baisers ne s’entendent plus.
J’y vois cette femme-objet
dont j’aimerais tant qu’elle m’aime.
Ceci n’est pourtant que l’absence photographiée,
une image déchirée
dans mon cœur.
Je parle aux objets dans la nuit,
je n’existe pas
sans liens à soupeser.
Une fenêtre est trahie
par le drap de l’amour :
un rideau en caoutchouc mauve.
Un insecte se promène sur mon bureau,
je l’achève
ainsi que ce texte,
comme la fin d’une vie.
Je ne comprends rien à l’univers.
Ce sont les objets dont s’émane la vie abstraite
qui seuls me retiennent à la réalité.
Une peine d’amour
qui coule le long de mes joues
comme l’urine de la forêt.
Denis Vanier
Entouré de ceux qui n'y sont pas
On guérit seul
on guérit pauvre de sa naissance,
mais surtout seul.
Je ne regrette pas l’isolement.
C’est une identité morale.
On ne meurt qu’entouré
de ceux qui n’y sont pas.
La solitude est toujours la faute des absents,
ceux qui n’ont pas de voix
pour murmurer au chevet de personne.
Même les jours sont seuls,
pleurant dans les ruelles de gazoline,
les matins de nuits blanches immaculées
qui ne tacheront pas les draps
ni plus tard les mouchoirs.
Des vautours sont cloués
aux portes épaisses
de celles qui pleurent le long des jambes
les larmes de race prisonnière,
en criant que même les enfants ont peur
des ténèbres de leurs ventres,
encore trop innocents pour savoir
que la mort est le contraire de la solitude.
Je le sais, qu’on est seul,
comme de ne pas bander au Paradis
avec les panthères de fudge,
enfermées avec personne
dans les armoires de la garderie.
Denis Vanier Hôtel Putama, Éditions de la Huit, 1991
La maison des horreurs
Laisse renverser cette huile tiède
sur tes draps de lin
sous la laideur des laines engorgées
Il faut tout brûler
blanchir sa mémoire
dans le vinaigre de l’espace
tue ta sœur
couvre-la d’huîtres et de miel
Il n’y a aucune crème pour apaiser
ne serait-ce que l’effacement
c’est pourtant avec celle-ci
qu’on lave ses cheveux
après la commotion
quelque chose ne germe plus
où reposent des plaques de thé humides et piquantes
un bouton creux
où appuyer en cas d’urgence
pour nous rappeler que l’intimité
est la propriété d’autrui
ma figure s’émiette lentement
ma peau flotte dans l’air
nous assistons au lever
de la tumeur blanche sous l’œil
même après je ne me souviens plus
comment on meurt
avant j’avais au moins mal
pour me le faire dire
(Hôpital St-Luc décembre 89)
Denis Vanier Les stars du rodéo
Arraché vif
À Gérald Godin
...
Quand elles passent
et que je dors sous mes trucks de désir
les filles se maquillent
aux miroirs
la rue est notre dernier cadeau
nous n'habiterons plus que la couverture du trottoir
où le mal s'endort aussi
dans les toilettes du grand café
les lavabos débordant d'enfants somnolents.
Mais qui a faim et soif et pleure
en embrassant le parquet d'une église
qui illuminera la couveuse d'étable
qui seule réchauffe nos mains
tout en sachant que les médicaments
seront remplacés par le souffle animal
pour l'être vacant
la saignée de porc, le plus creux des symboles intimes
car, faute de soins, ses enfants
mourront de virus rampants,
calcinés dans les flammes
du foyer qui n'existe pas
à côté de la peau de zèbre
des soupiraux du métro-intérieur.
Il est interdit de flâner
dans les corridors du ciel.
C'est Noel et tout saigne de froid
aux fronts «des hommes qui ont soif»
et vomissent
jusqu'à l'extinction des feux.
Même la vie ferme ses portes
demain nous écrirons
ce qui ne se passera pas.
...
Même mort ils me tuent encore
il faut souffrir en tant qu'êtres nuls
il n'est plus d'images que l'obsession de la prison de soi
où l'illusion est plus belle qu'ailleurs
et vivre veut dire devenir l'amante
de l'invisible qui rampe en nous.
Tout est brisé
surtout l'heure juste de l'amour
quand le merveilleux est un compte à régler.
Même plus de souvenirs
que l'avenir meurtri
le reste de mon corps s'offre aux couleurs
de la chambre noire où avoir mal
n'est qu'un soupçon d'éternité.
Mes yeux ne pleuraient
que pour notre patinoire de demain
afin de bénir ce meurtre qu'est la vie.
Denis Vanier Hôtel Putama, Éditions de la Huit, Québec, 1991
Le lézard du lounge
Les cils tombés d’autant de caresses
je souffre d’images brutales
aux odeurs évanouies
excédé de lieux et visions :
l’aversion des textures du paysage
toujours antérieur
imprimé de strangulations botaniques
éternellement épeurantes.
S’il s’agit d’un «retour»
rien n’a changé,
je mourrai comme j’ai vécu :
dans un garage
le gaz au fond
rejoindre le passé
qui m’aura tant pesé.
Celle qui n'aime pas les fleurs
L'obscène beauté de cette femme
se penchant en brûlant ses roses,
le matin je l'éveille
en pleurant sur son ventre sans amour.
Denis Vanier Le baptême de Judas, Les Herbes rouges, 1998