Prix rené Leynaud 2016 Thomas Vinau
Je suis donc allé, sous les ors de l'hôtel de ville chercher le prix René Leynaud de la ville de Lyon. J'y ai trouvé, des curieux attentifs, des officiels dubitatifs, des organisateurs tendres et truculents, une tripotée de poètes et une poignée d'amis chers. J'y ai été chaleureusement accueilli, et en remontant vers mon hôte de la Croix Rousse après le dernier métro, j'y ai goûté la neige dans la nuit. Je vous glisse ci-dessous mon discours consistant essentiellement à dire que la poésie est l'inverse du discours. Voilà voilà. Je serre dans mes petits bras maladroits, Frederic Houdaer, Paola Pigani, Thierry Renard, Denis et Fatoumata, Emmanuel Campo et les petites abeilles de l'espace Pandora. C'est pas tous les jours qu'on est réchauffé les soirs de neige. Merci à eux.
Prix René Leynaud 2016 – Discours de Thomas Vinau
(récompensant un ouvrage de poésie contemporaine, porteur d’un souffle de résistance, écrit par un poète émergent)
Et bin dis donc ... Voilà que j'émerge maintenant ! j'émerge et je résiste ! Si on m'avait dit ...
J'écris avec mon souffle. Un souffle court. Un souffle qui persiste. Comme une mauvaise toux. Celle des petites aurores.Comme un enfant qui râle. Comme Little Némo les cheveux en bataille, ou Gaston Lagaffe qui traîne des tatanes sur la moquette usée de ce monde en charpie. Je persiste et je signe à tenir le monde au bout doux de ma langue, à lécher où il faut sous les bras sales des mots, à dire autrement pour voir autrement, à voir autrement pour dire autrement.
Je suis particulièrement touché qu'on parle de résistance avec ce livre. Pour être sérieux deux minutes, sans pirouette et sans ironie, aborder la question de la résistance et de la poésie en ce moment, en cette période, et sous les figures tutélaire de René Leynaud et de Camus en plus, ne me parait pas anodin du tout. Les siècles passent, du sang coule sous les ponts, et les grands mots ont souvent rejoint les grands mensonges. Les mots ne peuvent pas beaucoup. Partout, tout le temps, pourtant, des hommes ont continué de se lever, se relever, avec leur langue. Pour ce pas beaucoup, par ce peu, la poésie persiste, résiste. Malgré tout. Mais pas comme une légion qui se lève, c'est fini ça. Nous n'avons plus grand chose à croire. Simplement comme un homme qui marche, celui de Giacometti, dont chaque tremblement, chaque tressaillement tient tête à la chute et, lorsqu'elle advient, lui rit au nez. Simplement comme un homme qui essait de mettre un jour devant l'autre, un pied devant l'autre, chaque matin, à hauteur du ciel et des bêtes, à hauteur des autres. C'est pour ce badaud tremblant à l'intérieur de chacun de nous que j'ai écris Bleu de travail. Et le fait de le reconnaitre ainsi par le biais de ce prix, me touche profondément.
La poésie doit faire attention. Moi là, je dois faire attention. Elle doit veiller à rester l'opposée du discours, son inverse même. Elle ne s'adresse pas aux foules, mais à l'homme seul. Elle est l'homme seul au fond de sa cellule. Elle est Nazim Hikmet, ou Abdellatif Laabi, ou Ashraf Fayad. Et tant qu'il y aura des cellules, les hommes taperont les mots entre eux pour faire du feu.
Ma poésie, dit merde et merci. Pas la peine de mouliner des bras. C'est déjà beaucoup ça. Merde et merci. Ici et maintenant, vous vous en doutez, ce seront surtout des mercis :
Merci à Emilie, Gaspard et Joseph qui m'écrivent chaque jour. Merci à mon frère, à ma mère, à ceux d'où je viens.
Merci à Charles Bukowski et Christian Bobin qui m'ont fait comprendre à 20 ans qu'entre deux silences tout était permis.
Merci à la fraternité de bras cassés que j'ai trouvé en poésie. La famille infâme. L'armée de la nuit.
Merci à la mine de rien avec laquelle j'écris.
Merci à Yves Artufel, Joel Bastard, Daniel Labedan, Vincent Rougier, Claude Vercey, Jean Marc Flahaut, Jean louis Massot, George Cathalo, Roger Lahu, Jacques Josse, Caroline Gérard, Lucien Suel, Frederic Houdaer, Jean Baptiste Gendarme, Jean-Maurice de Montrémy et Catherine Argant qui ont chacun été des jalons indispensables et des humains bienveillants.
Merci à Pierre-Jean Balzan mon éditeur foncièrement tout doux de La Fosses aux Ours dont j'admire les ouvrages depuis si longtemps.
Merci à la prof de français de collège qui m'a humilié un soir de conseil de classe en insistant sur le fait que j'étais incapable de suivre un cursus de lettre normal.
Merci à la mort, à la solitude et à la drogue, ces nourritures qui vous mangent.
Merci aux matins du Luberon.
Merci à Jean-Claude Pirotte, kobayashi Issa, Eugène Guillevic, Georges Perros, Jules Mougin, Céline, François de Cornière, Richard Brautigan d'être des morceaux de mon coeur.
Merci à la ville de Lyon, à L'espace Pandora et à René Leynaud qui trouve ici un nouveau moyen de résister.
Et enfin puisque nous sommes à Lyon, je voudrais pour conclure dédier ce prix à Aline et Pierre Autin-Grenier qui incarnent pour moi ce que la poésie et la résistance auront copulé de plus doux.
Thomas Vinau