Pluralisme et liberté

Publié le par la freniere

Pluralisme et liberté

La pluralité ne doit plus faire l'école buissonnière

 

D’une société axée sur le «règne du même», de l’unanimité et de la ressemblance, nous voici plus que jamais plongés dans celle du pluralisme religieux, politique et moral. Pour éviter la fracture sociale, une évidence s’impose: une refonte de l’éducation à la citoyenneté, affirme le philosophe Georges Leroux dans son plus récent ouvrage.


 

Le nouvel opus du philosophe, encore tout chaud, est sorti des presses alors que les attentats de Bruxelles venaient tout juste de servir un nouvel électrochoc à l’Occident, ébranlant toutes les certitudes, exposant les plaies béantes d’une intégration bancale. Qu’on le souhaite ou non, le prochain siècle sera celui du pluralisme mondialisé, une réalité que doit se hâter d’intégrer davantage le système scolaire, affirme le philosophe.

«Le pluralisme dont je parle est d’abord moral. Chaque jeune chaque adulte a aujourd’hui accès à un choix sans précédent d’options morales. Il n’y a plus d’autorité, de hiérarchisation des idées. Le pluralisme est riche, mais pose des défis. Il peut engendrer des conflits, des différences intolérables par rapport à notre régime de droit. C’est le cas des jeunes qui veulent se radicaliser», explique celui qui a participé à la genèse du programme Éthique et culture religieuse (ECR) inscrit depuis 2008 au cursus scolaire des élèves du primaire et secondaire.


 

Réflexion critique à insuffler


À son avis, la nouvelle génération entre dans un monde où la réflexion critique quant à toutes les idéologies doit être insufflée dès l’arrivée sur les bancs d’école. Selon lui, les tensions sociales observées en France ou en Belgique, avec des communautés devenues le terreau d’idéologies meurtrières, traduisent l’absence criante d’une éducation à la citoyenneté et du rapport à l’autre, devenue impérative dans le parcours scolaire. À ce chapitre, le Québec, qui a intégré le cours ECR à son programme il y a près d’une décennie, a pris une longueur d’avance que lui envient aujourd’hui plusieurs pays occidentaux.

 

«On n’a que deux armes. La répression sécuritaire et l’éducation. La meilleure, c’est l’éducation. La culture démocratique dans les écoles doit être investie, il doit y avoir plus d’argent pour les journaux étudiants, plus de fonds pour les mécanismes de participation appliqués à la démocratie», dit-il.

Ces dernières semaines, des élus européens, dont la mairesse de la commune de Molenbeek, plaque tournante du djihadisme belge, vantaient le travail social réalisé au Québec pour prévenir la radicalisation des jeunes. Selon Georges Leroux, l’éducation au vivre-ensemble fait partie des antidotes à la montée des idéologies extrémistes. «Nous ne sommes pas dans une situation post-coloniale ou communautarisée similaire à la France, où des populations vivent en vase clos dans des quartiers», nuance Georges Leroux. Malgré tout, il presse selon lui de pousser encore plus loin l’ouverture à l’autre introduite au cursus scolaire par le programme ECR il y a près de 10 ans.


Une réforme à parfaire


L’auteur déplore que l’islam ne soit pas un élément incontournable du contenu actuel du cours Éthique et culture religieuse. Axée d’abord sur la chrétienté, le judaïsme et les spiritualités autochtones, cette formation élude à l’heure actuelle la réalité complexe du monde islamique que plusieurs jeunes doivent pourtant appréhender quotidiennement.


«On aurait pu et dû ajouter l’islam au contenu. En France ou ici, il faut que les sources culturelles de ces communautés, surtout en France où ces ferments de violence s’alimentent dans des banlieues désastreuses, soient reflétées au sein des écoles. Il faut que les jeunes s’y reconnaissent, que les attentats, que les motivations du groupe État islamique, au nom d’un islam complètement frelaté, soient débattues. Sinon, ils vont avaler n’importe quoi et perdre tout contact avec la connaissance objective du phénomène religieux.»


Après une première génération d’élèves exposés au cours ECR, le programme mérite d’être réévalué, redessiné, estime ce dernier. «Il faut voir ce que les élèves ont appris, ont retenu. Est-ce que ça marche sur le terrain? Est-ce que les profs sont bien formés? etc. Toutes ces questions doivent faire partie d’un processus d’évaluation complexe», dit-il.


Dans le même esprit, le Québec doit aussi accroître l’éducation à la citoyenneté, resté le parent pauvre de la réforme de l’éducation, croit Georges Leroux. Si l’esprit prôné par le cours ECR se poursuit au cégep par le biais des cours de philosophie, les écoles du Québec doivent pousser plus loin l’apprentissage des valeurs démocratiques. «Nous avons les valeurs promues par nos chartes: la liberté, l’égalité. Mais il y a aussi au Québec des valeurs solidaires, fraternelles, de compassion et de la justice sociale, typiques du modèle québécois. La commission Bouchard-Taylor s’est arrêtée sur ce seuil. Ces valeurs ne sont pas explicitées», déplore-t-il.


 

Réaffirmer les «valeurs supérieures»


Le douloureux débat identitaire entraîné par la charte de la laïcité, resté cristallisé sur le port de signes religieux, a évacué toute réflexion sur des valeurs identitaires communes, estime l’auteur de Différence et liberté. Or, il presse, au-delà des chartes et des lois, de réaffirmer «ces valeurs supérieures».


Plutôt que d’être un «cocon», l’école doit, plus que jamais, s’ouvrir à tous les débats. Dans celui lancé dans la foulée de la réforme sur l’apprentissage par compétences versus connaissances, l’éducation à la citoyenneté est restée en marge du programme d’histoire. «Je ne désespère pas que le programme d’histoire soit revu en ce sens. Le programme actuel est ambivalent, avec un volet “démocratie magnifique”, mais la passerelle avec l’éducation à la citoyenneté n’est pas faite. Les écoles doivent donner aux jeunes les moyens de faire leur propre apprentissage de la démocratie.»

 

Isabelle Paré     Le Devoir

Publié dans Glanures

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