Pas trop saignant
Un petit filet de vent vient d’entrer par la fenêtre entrouverte, des souvenirs plein les bras : un château de sable, un baiser, des mains ridées qui épluchent des patates, un hélicoptère qui prend son envol au dessus de l’hôpital, un cauchemar, une nuit d’orage, la chemise de nuit de sa mère, la mauvaise blague d’un mauvais collègue, la poignée de main poisseuse d’un patron, la langue qui pend de la bouche d’une vache étourdie, un verre de sang, le plus beau feu d’artifice du siècle, un petit mot dans sa trousse d’école, l’aiguille dans son bras, un camping-car qui quitte un parking, une corde qu’il détache de la poutre de sa chambre, des lèvres dans du vin, un pique-nique de famille gâché par la pluie, une fille en larme au téléphone, le sourire de l’infirmière Joséphine, un train qui quitte la gare, une chute à vélo, la piqûre d’une abeille sur le bout du nez, l’odeur de l’éther dans le couloir de l’hôpital, deux grillons tous secs dans un bocal, une journée sous les draps à prendre sa température, l’heure la plus ennuyeuse que le monde est connu, un orgasme, une bière sous la canicule, la douce voix de sa mère susurrant à son oreille «c’est pas grave, on t’en rachètera un autre».
Guillaume Siaudeau