Le sourire éternel de Robert Dickson

Publié le par la freniere

Le sourire éternel de Robert Dickson

Retour sur l’œuvre tendre et inquiète d’un grand bâtisseur de la culture franco-ontarienne

« Je suis à ma table de cuisine qui / n’est pas vraiment une cuisine / je suis là comme une espèce de / robert dickson mais sans le café / sans le silence de sudbury sans le sourire de robert qui pouvait / illuminer toutes les galeries de / nos vies souterraines », écrit Patrice Desbiens dans Bobby Has Left the Building (En temps et lieux 2), une suite de six poèmes parus en 2008, un an après le départ de son ami.

De son arrivée à Sudbury au début des années 1970 jusqu’à sa mort le 19 mars 2007, Robert Dickson aura été le coeur battant du Nouvel-Ontario en plaçant la poésie au centre de l’affirmation identitaire d’un peuple refusant avec vigueur sa fragilité historique. Ubiquitaire architecte de nombreuses institutions culturelles du nord de la province, il collaborera d’une manière ou d’une autre au bourgeonnement des éditions Prise de parole (qu’il cofonde en 1973), de la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario, du Théâtre du Nouvel-Ontario et de la Galerie du Nouvel-Ontario.

En 1975, cet anglophone né à Erin, tombé amoureux du français en même temps que d’une Française, publie en format affiche son premier poème, Au nord de notre vie, un choix témoignant de son désir de faire pousser des racines à la poésie dans le terreau souvent aride de la vraie vie.

« Nous / têtus souterrains et solidaires / lâchons nos cris rauques et rocheux / aux quatre vents / de l’avenir possible », peut-on lire alors sur les murs des appartements de plusieurs Sudburois, des vers bientôt mis en musique par le groupe CANO. Le drapeau franco-ontarien sera déployé la même année. Largué par le Québec, parti se rêver un pays, l’Ontario français, tout comme l’Acadie, apprend à se nommer lui-même.

« La poésie a toujours occupé un espace privilégié chez les peuples minoritaires, surtout chez ceux qui sont menacés linguistiquement. Il y a toujours ce besoin d’une parole forte et rythmée qu’incarne la poésie », observe l’ami de Dickson, Jean-Marc Dalpé, cadet de ceux que l’on appellera les trois D (Dickson, Desbiens, Dalpé).

« Je me souviens très bien d’entendre Robert dire que pour lui, c’était extrêmement important que la poésie ne demeure pas confidentielle. Il fallait qu’elle trouve son public. Dans les années 1970, en Ontario français, les lieux où elle pouvait se faire entendre n’étaient vraiment pas légion, d’où ce choix de publier une affiche », rappelle quant à elle Johanne Melançon, qui prenait la relève de Dickson à l’Université Laurentienne de Sudbury en 2005. La professeure signe la préface d’Aux quatre vents de l’avenir possible, les poésies complètes de Dickson parues il y a quelques semaines.

Trouver la grâce du quotidien

« C’était pas tout à fait le Greenwich Village de Bob Dylan, mais on était une belle gang de joyeux lurons », rigole Jean-Marc Dalpé au sujet de ce Sudbury littéraire et culturel de la décennie 80 mythifié par la poésie de Robert Dickson ainsi que par celle de Patrice Desbiens, qui surgissent tous les deux sous les traits d’un sage et d’un frère entre les strophes de l’autre.

En 1981, un jeune Jean-Marc Dalpé s’installe à Sudbury afin de réinventer le Théâtre du Nouvel-Ontario avec Brigitte Haentjens, qui en devient la directrice.

Il publie chez Prise de parole trois recueils de poésie, tous traversés par une tempétueuse colère quant au sort économique et culturel des francophones hors Québec, un sentiment partagé par Dickson, bien que de manière plus discrète entre les pages de ses livres.

« Je sais que commencer une phrase en français / et être obligé de l’achever en une autre langue / parce qu’on est à bout de mots / à bout de notions natales / c’est la mort qui approche / ce n’est pas correct », regrette-t-il en 1978 dans Or« é »alité, sans doute le passage de son oeuvre le plus explicite à ce sujet.

C’est davantage par rapport à l’apocalypse environnementale, ainsi qu’à la guerre alimentant des brasiers partout sur la planète que Robert Dickson se tourmente. Héritier de la contre-culture et de l’écriture automatique, ironiste d’une infinie tendresse, humaniste blessé par la violence d’un monde tyrannisé par l’argent, le généreux poète savait contempler le quotidien sous un jour en en révélant l’insoupçonnée beauté.

« Robert posait sa loupe sur les petits riens de la vie afin d’y trouver des moments de grâce », résume Dalpé. Exemple parmi tant d’autres, intitulé « Toi, aux vues » (tiré de Grand ciel bleu par ici, 1997) : « ton profil un instant / deux instants au grand écran / en panoramique // mon coeur en travelling / accéléré un deux trois quatre / un deux trois // je vais lui parler moi / au gars des vues / avec qui t’as arrangé ça. »

Un grand petit poème

Au printemps 2006, Jean-Marc Dalpé est invité par le Salon du livre de Paris, puis prolonge son séjour afin de passer deux semaines avec son ami Robert, installé pour la saison à Aix-en-Provence. « Quand je pense à lui, je nous vois tous les deux qui jasent sur son petit balcon avec le cerisier pas loin qui est en train de fleurir. » Une image dont Dickson aurait assurément su tirer un grand petit poème.

 

Dominic Tardif

in Le Devoir
 

Aux quatre vents de l’avenir possible. Poésies complètes
Robert Dickson, Prise de parole, Sudbury, 2017, 450 pages

 

Publié dans Les marcheurs de rêve

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