à Jorge Rivelli
à Jorge Rivelli,
Il est où ce foutu poème, je le cherche entre les pages chiffonnées et jaunies du livre de ma vie et je n'arrive pas à mettre la main dessus. Il me fuit pour s'écrire et son rythme infernal me fait mal, je n'arrive pas à le suivre. Un matin je crois l'atteindre et c'est déjà le soir. J'aimerais tant le retrouver pour vous vous en lire au moins un passage mais il s'efface dès que je crois l'avoir saisit au vol. Il prend des formes inattendues, hallucinantes. Il refuse de se rendre utile, de servir la cause commune. Pourtant, chacun peut y trouver son bien, sa pitance ou sa part de silence. Il ne reste pas en place, ne se laisse pas capturer. Je pensais pour quelques secondes l'avoir dompté, il m'explose à la figure. A en devenir fou. Il défie la logique savamment brodée du récit, embrase la clairière immatérielle des fées, embarque tout l'amour du monde sur les ailes d'une libellule bleue, roule ses flots limoneux à travers une ville de verre habitée par des poissons philosophes à têtes humaines, chevauche des nuages d'orage en jonglant avec des boules de feu, il fait reculer les limites incommensurables de l'imagination et une fois son grand œuvre accompli, il se tait, disparaît et me laisse inachevé dans la solitude douloureuse de tout ce qui existe. Poème sanctuaire des prophéties.
André Chenet